Ces bateaux inscrits au patrimoine suisse

En Suisse, une vingtaine de bateaux à roues à aubes « Belle Époque » naviguent sur nos lacs. Ils font partie du patrimoine de notre pays et en sont une des fiertés. Sur le lac Léman, la flotte de huit bâtiments de ce type, appartenant à la Compagnie Générale de Navigation (CGN), a été classée monument historique d’importance nationale en 2011. Tour d’horizon de ce patrimoine lacustre d’exception.

Si les lacs de Zurich, de Thoune, de Brienz et des Quatre-Can-tons comptent quelques beaux bateaux « Belle Époque », la flotte du Léman est la plus grande du pays. Conscientes de la valeur de ce patrimoine, des associations offrent leur soutien, notamment financier, pour l’entretien et la rénovation des bateaux du lac Léman. C’est le cas de l’Association Patrimoine du Léman et de l’Association des amis des bateaux à vapeur du Léman (ABVL). En outre, les Cantons de Vaud, Genève et Valais, actionnaires majoritaires de la CGN, débloquent régulièrement des fonds dans cette optique.

Rénovation par des artisans

Sur les huit bateaux-salons du lac Léman (le Montreux, le Vevey, l’Italie, le Savoie, le Simplon, l’Helvétie, La Suisse et le Rhône), propulsés par des roues à aubes, cinq d’entre eux fonctionnent encore à la vapeur, dont La Suisse, sur lequel nous avons navigué. Construites par l’entreprise Sulzer Frères de Winterthur, ces embarcations ont été mises à l’eau pour la première fois entre 1904 et 1928, le dernier en date étant le Rhône.

Lancé en 1910, le bateau La Suisse a été conçu à l’origine pour être le navire amiral de la CGN, à savoir le plus emblématique. Il devait être le plus élégant et le plus grand de tous les bateaux à vapeur de notre pays. Totalement rénové de 2007 à 2009 par des artisans spécialisés, il ressemble comme deux gouttes d’eau à ce qu’il était à l’origine, grâce à des photos d’archives et d’anciennes cartes postales. Non seulement l’allure extérieure a été restaurée à l’identique, mais également les espaces intérieurs. Le mobilier du salon de première classe par exemple est d’origine, avec ses tapis et ses tapisseries de sièges d’Aubusson. Les lustres en bronze ont été reconstitués d’après des modèles et des plans originaux. À signaler également les figures de proue et de poupe sculptées et recouvertes à la feuille d’or.

Chaque bateau de cette flotte classée possède ses propres caractéristiques et les salons de première classe sont tous différents. Celui de l’Italie par exemple est de style néo-Empire en acajou rehaussé de bronzes dorés, celui du Rhône est de type néo-classique en cerisier et celui du Vevey est en marronnier incrusté d’amarante et d’ébène, rehaussé de garnitures en bronze ciselé. La plupart de ces bateaux ont été partiellement ou entièrement rénovés.

Des mastodontes délicats à manœuvrer

Pour découvrir de l’intérieur l’un de ces bateaux de « Belle Époque », nous embarquons sur La Suisse en compagnie de son capitaine du jour, Laurent Thierry. Le bateau s’ébranle, recule en direction du large, avant de repartir en marche avant, quittant le quai d’Ouchy à Lausanne pour filer vers Saint-Gingolph. Le lac Léman est calme, le soleil est encore bas, et quelques brumes matinales flottent au-dessus de l’eau. L’étendue liquide est pratiquement vide et les passagers, eux non plus, ne sont pas encore très nombreux.

« La Suisse fonctionne avec commandes séparées », explique Laurent Thierry. Le capitaine pilote le bateau depuis la passerelle à l’aide d’une sorte de joystick, placé à bâbord et à tribord de la timonerie – le cas échéant, le gouvernail, dans la cabine, peut également servir à la manœuvre. Le mécanicien dans la salle des machines s’occupe de la vitesse, de la marche avant ou arrière et de l’arrêt, sans voir ce qui se passe à l’extérieur.

Le premier communique avec le second au moyen d’un répétiteur d’ordres ou chadburn, sorte de roue avec un indicateur de vitesse rudimentaire reliée à son équivalent en salle des machines, qui se trouve en dessous des salons. Là, le mécanicien et le graisseur s’activent. Pistons et moteurs fonctionnent à plein régime. Ils sont parfaitement huilés et brillent sous la lumière tamisée. Un mauvais dosage de l’huile pourrait endommager les machines et le mécanicien contrôle en permanence son niveau. Pour faire fonctionner les roues à aubes, ce sont environ 42 tonnes d’eau par jour qui sont puisées et rejetées dans le lac.

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Dans la timonerie de La Suisse : le gouvernail en bois n’est utilisé qu’en cas de problème avec le système de pilotage électrique. © Sylvie Guggenheim

Risque pour les autres usagers du lac

Du fait de leur taille et de leur lenteur de réaction, ces bateaux « Belle Époque » représentent un danger pour les usagers du lac imprudents. Il faut environ 400 mètres à un tel mastodonte pour réussir à s’arrêter et la modification d’une trajectoire n’est pas instantanée.

Durant la belle saison, les capitaines ne sont jamais très tranquilles, au vu du nombre d’embarcations en tout genre qui sillonnent le lac, sans compter les baigneurs téméraires. Ils doivent toujours anticiper, s’attendant au pire. Car les gens, navigateurs et baigneurs, ne sont pas toujours conscients des risques qu’ils prennent. D’ailleurs, les bâtiments de la CGN en tant que transporteurs de passagers sont prioritaires sur toutes les autres embarcations. « L’été, les journées sont longues et nous sommes très fatigués », assure Laurent Thierry.

Lorsqu’il y a de forts coups de vent, voire une tempête, la situation peut être risquée, en particulier lors de l’accostage. Ces bateaux ont un fond presque plat et un faible tirant d’eau. « Il nous arrive de ralentir et de rester au large pour attendre que la tempête se calme un peu, avant d’accoster », explique encore le pilote.

Pour devenir capitaine d’un bateau tel que La Suisse, il faut une quinzaine d’années d’apprentissage et de navigation. « Il n’y a pas d’écoles de capitaines, c’est un métier qui s’apprend par transmission de savoir. » Une condition tout de même pour être engagé sur les bateaux de la CGN : avoir une profession manuelle qui puisse être utile à la compagnie. Laurent Thierry, par exemple, est ébéniste. Comme les capitaines naviguent moins en hiver, ils s’occupent également des réfections et des réparations des bateaux, en particulier de ceux à vapeur qui ne sortent pas à la mauvaise saison.

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