Australie : La peur de manquer s’installe lentement

À cadence régulière, le sujet sensible de la vente des terres à des étrangers s’affiche à la une des journaux australiens.

À la fin des années 80, dans l’Etat du Queensland, l’achat par des investisseurs japonais de terrains destinés à être transformés en immenses complexes hôteliers et luxueuses maisons de retraite avait fait bouillir le sang de certains politiques et éditorialistes qui dénonçaient le danger d’une invasion nippone. Vingt ans plus tard, il s’avère que ces investissements ont largement été bénéfiques à l’Etat du Queensland dont le registre foncier révèle que seulement 2,56% des terres ont été vendus à des compagnies extérieures. Mais ce qui fait justement débat aujourd’hui, c’est qu’il n’existe aucun organisme au niveau national pour vérifier et enregistrer toutes les ventes faites à des non-résidents australiens. Actuellement, si un étranger veut acquérir des terres agricoles en Australie et que son investissement ne dépasse pas 231 millions de dollars australiens, il ne sera soumis à aucune forme d’enquête et son achat ne sera pas forcément recensé.

Il n’existe aucun organisme au niveau national pour vérifier et enregistrer toutes les ventes faites à des non-résidents australiens.

Un des dirigeants du Foreign Investment Review Board, organisme dépendant du ministère du Trésor qui contrôle les investissements étrangers dans le domaine foncier et immobilier, reconnaissait récemment devant une commission sénatoriale qu’une compagnie étrangère pouvait effectivement acheter un district entier, ferme par ferme, sans que son service en soit même averti. Les choses sont beaucoup plus encadrées en Nouvelle-Zélande, où toute acquisition de plus de 5 hectares de terres par un étranger fait l’objet d’un contrôle pour vérifier qu’elle ne va pas à l’encontre de l’intérêt national.
Il y a quelques mois, l’achat de quarante-trois fermes autour du village de Gunnedah, à 500 km de Sydney, par la compagnie minière gouvernementale chinoise Shenbua qui veut non pas se lancer dans l’élevage mais prospecter les sous-sols pour en extraire du charbon, a remis le feu aux poudres et ravivé la peur des Australiens d’être dépossédés de leurs terres.

Les fermiers de Gunnedah, eux, ne s’en plaignent pas car le prix de leurs exploitations s’est envolé, parfois dix fois plus élevé que ce qu’ils auraient pu en espérer dans d’autres conditions. De quoi faire rêver bien des fermiers pour qui les dernières années, de sécheresse en inondations, ont été si difficiles qu’ils appellent de leurs vœux des propositions venues de Chine, d’Inde ou de Singapour, pays qui investissent de plus en plus en Australie. « En Chine, les produits laitiers en provenance d’Australie et de Nouvelle-Zélande sont con- sidérés comme les meilleurs au monde », explique M. Cheng dont la compagnie Fukushoku, installée en Australie, exporte du lait en poudre vers la Chine, et qui assure que les Australiens n’ont pas à s’inquiéter des investissements de ses compatriotes.

Credo repris par le gouvernement australien qui affirme qu’il ne faut pas décourager des investissements qui apportent « une contribution importante à la croissance et au développement du secteur agricole ». Pourtant, l’appétit des compagnies étrangères pour la viande de bœuf, le sucre ou le riz australiens commencent à susciter des inquiétudes d’un ordre différent qui relèvent moins d’une éventuelle xénophobie que de la peur de manquer.

Une angoisse qui n’a rien de fictif comme l’explique l’écrivain australien Julian Cribb dans un livre publié par le CSIRO, Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (le plus important organisme de recherche scientifique australien), et intitulé La famine à venir (The Coming Famine). Cribb rappelle que d’ici à cinquante ans, la population mondiale aura sans doute franchi la barre des 11 milliards, qu’il faudra, pour la nourrir, doubler l’actuelle production alimentaire et que les prochaines guerres seront celles de l’eau et du pain. En Australie, pays qui a toujours connu l’abondance, l’idée d’une « sécurité alimentaire » qui serait compromise voire menacée commence à émerger.