A l’écoute des plus jeunes

Une commission des droits de l’enfant va bientôt voir le jour à Genève pour pallier le manque d’écoute des enfants dans les procédures civiles ou administratives. Une première en Suisse !

Demander l’avis d’un enfant reste un problème en Suisse. Selon les statistiques de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, seul un enfant sur dix serait entendu dans les cas de divorce et pourtant… ce droit à l’écoute est bien inscrit parmi les 54 articles de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CDE) dont on fête actuellement les 25 ans. Le 12e article est d’ailleurs très clair sur ce sujet puisqu’il stipule que « l’enfant en âge de discernement a le droit d’exprimer son opinion sur toutes questions l’intéressant et d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant ». Dans les faits… rien n’est moins sûr, comme le constate amèrement Catherine Ming, avocate à l’association Juris Conseil Junior (JCJ). « Dans toutes sortes de situations, nous assistons régulièrement à des violations de la CDE. Nous constatons qu’en ce qui concerne l’écoute et la représentation des enfants en justice, il existe de grandes disparités selon les juges. Les plus attentifs voient que tel dossier requiert la nomination d’un curateur de représentation au mineur, parce que le curateur est totalement indépendant il défend vraiment l’enfant. Mais d’autres juges n’ont guère envie de s’encombrer d’une charge supplémentaire et ne prennent pas cette peine ! A cela s’ajoutent aussi des pratiques différentes selon la personne désignée pour défendre le mineur. Les juges peuvent nommer une personne qu’ils connaissent ou avec laquelle ils ont déjà travaillé, mais qui n’est pas forcément la plus formée ou compétente en la matière. Sans parler des disparités selon les cantons », explique-t-elle. Un constat dont la conseillère nationale Christine Bulliard-Marbach (PDC/FR) s’est aussi fait l’écho lors des débats parlementaires de juillet 2014. Pour pallier ces manquements à la loi, l’avocate genevoise, a convaincu le Bâtonnier Jean-Marc Carnicé et le Conseil de l’Ordre des avocats de Genève (ODAGE) de constituer une Commission des Droits de l’enfant déjà composée d’une dizaine d’avocats et présidée par Me Isabelle Bühler Galladé, membre du Conseil de l’Ordre. Une première en Suisse. « Les 25 ans de la CDE et le thème choisi par la Ville de Genève » 2014, Année de l’enfant, nous ont semblé opportuns pour lancer notre Commission ! Elle va permettre à Genève de se mettre au diapason de la CDE en défendant de plus en plus la représentation de l’enfant en justice. Dans les cas d’adoption par exemple, un avant-projet de loi prévoit désormais le consentement de l’enfant mineur capable de discernement à son adoption et la possibilité pour l’autorité compétente d’ordonner sa représentation dans cette procédure par un curateur professionnellement qualifié. C’est une vraie avancée», s’enthousiasme Catherine Ming.

Aujourd’hui, il faut savoir que des juges amenés à entendre l’enfant ne suivent pas de formation spécifique.

L’enfant en tant que sujet

En effet, la CDE a révolutionné le statut de l’enfant en lui donnant une place de sujet et non plus celle d’un simple objet de protection. Or, cette révolution a encore de la peine à être reconnue et nécessite un réel changement de mentalités. Pour ce faire, la nouvelle Commission des Droits de l’enfant devrait soutenir et appuyer les avocats d’enfants en leur proposant une formation pointue qui répond aux défis croissants dans le domaine du droit, à l’instar de celles proposées par l’Institut universitaire Kurt Bösch ou l’Institut international des droits de l’enfant (IDE). « Aujourd’hui, il faut savoir que des juges amenés à entendre l’enfant ne suivent pas de formation spécifique. Au tribunal de protection de l’enfant, un seul a suivi la formation de l’lUKB de Sion, mais ce n’est en aucun cas obligatoire. Pourtant, en tant que curatrice d’enfant, je constate sur le terrain que c’est indispensable. On n’agit pas de la même façon avec des tout-petits qu’avec des adolescents. De nombreux paramètres doivent être pris en compte. Avec des enfants de 10-12 ans, on explique qu’ils ont des obligations et des droits et notamment celui d’être entendu, voire représentés en justice, c’est une question de dignité. Alors qu’avec des plus petits, on va s’asseoir, jouer avec eux, observer comment cela se passe chez eux, essayer de cerner les vrais besoins comme leurs souffrances et leurs demandes. » La commission va aussi permettre de travailler en amont pour plus d’efficacité. « Pour l’instant, nous sommes encore contraints de faire de la procédure dès que nous constatons un non-respect de la CDE. Mais cela pourra évoluer positivement en discutant avec les institutions mises en cause. » Des questions liées aux difficultés procédurales restent aussi à éclaircir avec la magistrature, afin de régler les problèmes auxquels les avocats des enfants sont confrontés telle la diversité de pratique. La CDE prévoit que l’enfant soit entendu pour toutes les questions qui le concernent et le Tribunal fédéral a fixé cette limite d’âge à 6 ans. Cela signifie que dès que l’enfant est impliqué dans une procédure judiciaire ou administrative qui concerne sa situation personnelle, en mesures protectrices ou dans le cadre des mesures conjugales, il devrait être entendu dès l’âge de 6 ans. « Cela ne signifie pas que l’on va satisfaire sa demande, précise Catherine Ming. Mais entre 6 et 10 ans, le juge devrait l’entendre pour comprendre son point de vue, les circonstances de sa présence, situer son contexte de vie et se faire une idée personnelle de sa situation. Or cela est trop peu pratiqué et la plupart des juges de divorce délèguent cette audition au Service de protection des mineurs, ce qui ne leur donne absolument pas la même image de la situation que s’ils entendent l’enfant eux-mêmes. »

Ecouter un enfant… cela fait peur !

Les dérapages dans les affaires Dutroux ou d’Outreau sont encore dans les mémoires et montrent combien il est complexe et difficile de comprendre et de prendre en compte la parole de l’enfant : « Dans le premier cas, on n’a pas cru les enfants alors que dans l’autre la parole a été maltraitée dans des dérives procédurales incroyables, explique la cofondatrice de la Commission des Droits de l’enfant. Ce n’est pas évident d’être confronté au regard de l’enfant quand on est juge au tribunal de première d’instance ou en cour de justice par exemple. Il y a des résistances, car pour vraiment entendre la parole du petit et le mettre en confiance, vous devez descendre de votre position de juge et vous mettre à sa hauteur. C’est un peu comme quitter sa fonction et entrer en résonance avec d’autres niveaux de soi-même. Face à un adulte, on se sent plus fort qu’en face d’un enfant, où étrangement on se sent plus démuni. » La commission va encore aussi permettre d’éclaircir de nombreuses questions liées à l’indemnisation des curateurs d’enfants. « Actuellement, nous ne sommes pas très bien payés ni suffisamment médiatisés. Exercer notre métier relève de la vocation », reconnaît l’avocate.

Une permanence juridique pour les jeunes

Depuis 1995, date de sa création, l’association Juris Conseil Junior écoute, protège et défend les enfants. Une permanence téléphonique effective 7 jours/7 de 9h à 17h réponde aux questions qui les concernent mais aussi leur rappelle leurs droits et leurs devoirs. Mes parents divorcent ? Je suis victime de violence de la part de ma famille ? je suis abusé sexuellement ? je suis victime de harcèlement ?…sur le site de l’association, une rubrique apporte les premiers éléments de réponse aux problèmes que peuvent rencontrer les plus jeunes. Mais pour aller plus loin…un coup de fil s’impose ! Les avocats membres de l’association répondent gratuitement et en toute confidentialité. Ils reçoivent environ 200 appels par an (ces chiffres sont une estimation pour l’année 2013 et ont été remis par le comité de l’association). Ils proviennent majoritairement de jeunes adultes, pour 40% âgés entre 18 et 25 ans, mais aussi d’adultes de l’entourage de l’enfant (plus de 30%), de mineurs (plus de 6%) et de professionnels de l’enfance pour le reste. Pour plus de 75%, les questions posées relèvent du droit privé dont plus de 50% concernent le droit de la famille.

Renseignements : www.jcj.ch et la permanence téléphonique : 022 310 22 22

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