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À la place d’Adam, prenez la rue d’Ève

En Suisse, comme en France ou en Belgique, les femmes sont sous-représentées dans l’espace public. Seules 5,3 % des rues genevoises portent le nom d’une femme, 2,9% à Lausanne. Associations et autres collectifs alertent sur ce manque de visibilité.

À Genève, le Bureau de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes et de prévention des violences domestiques (BPEV) tente de sensibiliser les citoyen.ne.s comme les exécutifs chargés de nommer nos ruelles, rues et autres artères. En 2004, le bureau avait déjà sorti des oubliettes de l’histoire 80 pionnières et créatrices en Suisse romande, des XIXe et XXe siècles, dans l’ouvrage éponyme1 avant de récidiver deux ans plus tard avec un guide2 listant 26 portraits de femmes comme autant de propositions de personnalités possibles pour nommer nos rues. Cette publication était née du constat de ne comptabiliser qu’une vingtaine de rues dont le nom fait référence au « deuxième sexe » sur un total de 560 portant le nom de personnalités ou de familles ! Et d’inviter à mieux faire connaissance avec toutes celles qui ont aussi contribué à l’Histoire du canton.

Une odonymie inégalitaire

Plus de dix ans après la sortie de cet opuscule, la cité pourrait bien accueillir quelques femmes. « En 2017, la motion verte ‹ pour davantage de noms de personnalités féminines ›3 a été votée à l’unanimité par le Grand Conseil et une autre motion, visant les mêmes buts, a été acceptée par le Conseil administratif de la ville de Genève, explique Colette Fry, directrice du BPEV. Et nous pourrions bientôt parcourir les rues Louise-Boulaz, Berthe-Vadier, Alice-Bailly ou encore Marie-Chassevant dans le futur quartier des Eaux-Vives autour de la gare du CEVA. Ce n’est pas le nombre de femmes à honorer qui manque », poursuit Colette Fry.

À Lausanne, ce n’est pas aussi simple. Une élue du parti les Verts a bien tenté de sensibiliser la municipalité au problème… sans succès. Avec sa centaine de personnalités masculines pour trois féminines, la capitale vaudoise pourrait rééquilibrer les choses, notamment dans ses futurs quartiers, mais elle craint « qu’en voulant opérer un rattrapage systématique, on risque une ghettoïsation de dénominations féminines qui pourrait être mal perçue ».

En Belgique ou en France, des associations féministes se sont emparées du problème et mènent des opérations de désobéissance non violente, visant à dénoncer la sous-représentation des femmes dans l’espace public. En 2014, l’ONG Soroptimist s’était chargée de comptabiliser les noms de rues françaises4 et leur résultat était sans appel : Sur les 635 000 rues françaises, 33% portent des noms de personnalités dont 6 % de noms de femmes, avec une majorité de Jeanne d’Arc, d’Hélène Boucher (aviatrice) et de George Sand. À Paris, en 2015, l’association « Osez le féminin » interpelle la maire, Anne Hidalgo, avant de rebaptiser les rues de l’Ile de la Cité. Plus récemment, c’est du côté de Strasbourg, et plus précisément de l’Institut d’études politiques (IEP), que le collectif Copines a battu le pavé pour une opération collage. « Pour le 8 mars, Journée des droits des femmes, nous avons réalisé de faux panneaux de rues où figurait le nom original suivi d’une proposition de personnalité féminine, explique Maureen Morlet, présidente du collectif Copines. Ainsi, à la place de l’allée René-Capitant pourquoi pas une allée Amélie-de-Berckeim ou à l’avenue du Général-de-Gaulle pourquoi pas une Édith Cresson ? Il s’agissait d’inviter les gens à s’interroger sur la place des femmes dans l’espace public », poursuit-elle.

50% de l’humanité en manque de visibilité

Même mode opératoire chez les Belges de La collective « Noms peut-être ».
« L’idée était de sensibiliser la population au fait que moins de 10% des rues de Bruxelles ont des noms de femmes, explique la collective. Nous avons entrepris deux opérations d’affichages sauvages dont l’une s’est soldée par la confiscation de nos papiers d’identité par la police et l’obligation de retirer toutes nos affichettes dans les 4 jours, précise-t-elle ». Après les rues, la Collective a rebaptisé les amphithéâtres et autres salles de l’université. « Changer les mentalités dans les lieux d’éducation et de réflexion compte aussi dans le changement. » Parmi les personnalités mises en lumière, on notera les noms d’Angela Davis, figure du Black feminism, de Marie Curie, physicienne et chimiste, ou encore Hypatia, philosophe, astrophysicienne et mathématicien-ne grecque, ou encore la jeune militante pakistanaise Malala Yousafzai. Cette opération, relayée par la presse nationale, leur a permis d’augmenter leur notoriété sur les réseaux sociaux et d’informer plus largement sur la place des femmes dans la société.

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