Afrique du Sud : Une réforme agraire qui tarde à venir

« La réforme agraire est un échec. Il est temps d’agir. » Le leader de la Ligue des jeunes de l’ANC (African National Congress, parti au pouvoir) relance sans cesse le débat d’une redistribution équitable des terres.

Julius Malema, avec sa verve provocatrice et populiste, ose dire ce que la majorité des Sud-Africains pensent tout bas : « Les Blancs nous ont volé nos terres. Nous devons les récupérer sans compensation. » Nelson Mandela, premier président démocratiquement élu en 1994, a multiplié les promesses, jugées trop ambitieuses même dans son propre camp : en dix ans, les terres « confisquées » par les colons devaient être restituées aux anciens propriétaires ou leurs pertes indemnisées, et 30% des terres du pays devaient être entre les mains des Noirs dès 1999. Aujourd’hui, on en est encore bien loin. Seules 5% des fermes commerciales ont été transférées aux groupes « défavorisés par l’Histoire ». Les espoirs sont déçus. La question des terres est sensible : elle met en lumière les clivages raciaux du pays et les injustices héritées du passé. Après une longue période de colonisation hollandaise et britannique, le régime de l’apartheid a dépossédé la population noire du pays, la confinant dans des « Bantoustans ». Seules 8% des terres ont été attribuées à 80% de la population. Mais l’Etat sud-africain a peur de se lancer dans une redistribution des terres à grande échelle. Seul 1% du budget est consacré à la réforme agraire. Racheter des terres pour les distribuer à la majorité endetterait le gouvernement, sans garantie de résultat dans la lutte contre la pauvreté. Au Ministère de l’agriculture, on préfère les fermes commerciales aux petites exploitations.

Si cette question de réforme agraire n’est pas résolue, cela ouvrira la voie aux populistes.

Sans compter la pression des lobbies de fermiers blancs, très puissants, qui menacent sans cesse d’émigrer dans d’autres pays. Une vingtaine de pays, comme le Congo, le Nigeria ou même la Géorgie lancent des appels insistants aux fermiers sud-africains pour venir partager leur savoir-faire et développer l’agriculture. Pourtant, selon le professeur Ben Cousins, directeur de l’Institut d’études sur la pauvreté et la terre, « il est possible de redistribuer 30% des terres agricoles sans menacer la sécurité alimentaire du pays ». Il suffit, d’après lui, de mettre en place un système important de subventions aux nouveaux propriétaires et de développer des lycées agricoles.

Plus qu’un problème économique, c’est une question de survie pour la stabilité du pays : « Si cette question de réforme agraire n’est pas résolue, cela ouvrira la voie aux populistes. Ils construiront leur base électorale sur cette question, quitte à proposer des politiques irréalistes et dangereuses pour l’avenir du pays. » Julius Malema, celui que beaucoup voient comme futur leader, n’hésite pas à citer le Zimbabwéen Robert Mugabe comme l’un de ses modèles.

En réponse aux provocations, le président sud-africain Jacob Zuma a promis de trouver des solutions en « accord avec la Constitution ». Il doit faire vite. Seize ans après l’apartheid, la tension monte et les discours de Malema résonnent chaque jour un peu plus dans les campagnes.