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Interview de Philippe Bouvard

Les études littéraires ne sont plus en vogue à l’heure des bavardages sur les réseaux sociaux.

Philippe Bouvard, Homme de télévision et de radio, écrivain, journaliste

– Que pensez-vous de la simplification en cours de la langue et de l’orthographe, en France et dans les pays francophones ?

– Dans les médias électroniques et les journaux, de plus en plus de gens s’expriment et le moins que l’on puisse dire est que le raffinement de l’expression orale ou écrite n’est pas le plus frappant dans leurs interventions. Les grands orateurs, les journalistes ou animateurs capables d’écrire ou de parler un bon français, ce qui correspondrait au Hochdeutsch allemand, disparaissent peu à peu. En échange, nous avons droit à des sportifs ou à des « témoins » dont les phrases commencent presque toujours par « c’est vrai que… » et finissent par « voilà ». Généralement, ils nous expliquent qu’ils « ont entendu un grand bruit » et que quand ils sont sortis de leur cuisine, « il n’y avait plus rien ». Aujourd’hui, on simplifie à l’excès : la concordance des temps paraît abolie, l’imparfait du subjonctif est définitivement oublié… Qui comprendrait un Léon Zitrone déclarant à une dame : « Fallait-il que je vous aimasse, que vous me plussiez, que je vous idolâtrasse, pour que vous m’assassinassiez ? » Le président Macron n’est pas le dernier à abuser de « par contre » là où s’imposerait « en revanche », ou à « débuter une cérémonie » !

– Votre carrière s’est développée autour d’une parfaite maîtrise de la langue. Les nouvelles générations ont-elles toujours cette opportunité et comment donner aux jeunes le goût du « bien parler » et du « bien écrire » ?

– Sans doute, mais la page est tournée. Tout le monde pare au plus pressé et on ne perd plus de temps, même lorsque la conscience professionnelle l’exigerait, à chercher le mot exact. Aujourd’hui, on semble ne s’intéresser qu’à l’intelligence artificielle, censée s’occuper de tout à notre place. Or celle-ci ne réalise pour l’instant que ce qu’on lui aura demandé de faire, et en fonction de ce qu’on lui aura appris. Mais si j’en crois l’un de mes petits-fils, qui connaît bien ce domaine, il y a un vrai risque que cette intelligence artificielle se mette à prendre des décisions. Là, cela deviendra un peu dangereux.

– La féminisation systématique des noms a-t-elle un sens ? Est-il bien de parler, comme on le fait en Suisse, de « cheffe » et dire « la maire de Genève » ?

– L’Académie française peut bien se lancer dans un baroud d’honneur : la cause du français correct est quasiment désespérée. Tout le monde a droit à la parole et en fait large usage, ce qui est très démocratique. On invente des mots, on en modifie d’autres… Chacun s’autorise à traiter ou maltraiter les mots, les expressions, la grammaire. Les études littéraires ne sont pas en vogue, c’est plutôt l’heure des réseaux sociaux où les bavardages de votre gardienne d’immeuble prennent une dimension internationale. Je disais tout à l’heure que la page était tournée. Je ne veux pas me montrer catastrophiste : essayons de tout faire pour que la suivante soit rédigée de façon aussi correcte que possible !

– À la tête de l’Éducation nationale ou de l’Instruction publique, quel serait votre programme politique ?

– Sans aucune hésitation, ma recette serait la remise à l’honneur des dictées et la lecture de grands textes français. Je les chercherais plutôt du côté de La Fontaine que des rappeurs.

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