Zelda Fitzgerald, écrivaine rebelle

Elle a inspiré l’héroïne d’un célèbre jeu vidéo japonais. Farouche et éprise de liberté, mondaine et excessive, la femme de Francis Scott Fitzgerald aura passé sa vie à essayer d’exister dans l’ombre de son illustre mari.

« Aux États-Unis, il y a une femme très connue, épouse d’un écrivain, qui porte le prénom de Zelda. Que pensez-vous de ce nom pour nommer cette jeune princesse à la beauté éternelle ? » C’est ainsi que Shigeru Miyamoto, éminent créateur japonais de jeux vidéo, lançait, en 1986, Legend of Zelda, l’une des licences les plus rentables de Nintendo, tout en assurant une célébrité mondiale à celle dont il emprunta le nom.

Qu’est-ce qui rapproche Zelda, héroïne à la tête du Royaume d’Hyrule constamment attaqué par l’infâme Ganon, de la romancière Zelda Fitzgerald, icône garçonne des années folles ? Un indéfectible besoin de liberté, quitte à mettre cet esprit rebelle en péril. Zelda, la princesse, donne sa vie pour sauver son peuple. Zelda, l’indomptable, joue avec la sienne pour exister dans ces années 20 où les femmes n’ont aucune place.

La solitude est aussi ce qui les réunit. La Zelda du jeu vidéo ne peut compter que sur Link, petit chevalier dégourdi qui la tire des griffes de l’enfer à chaque épisode. L’autre sur Scott Fitzgerald, son mari et auteur à succès, qui va l’entraîner progressivement dans ses excès. Son double maléfique et jaloux qui va finir par la tenir cloîtrée dans la cage dorée qu’est leur maison.

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(DR)
Portrait de Zelda Fitzgerald

Vie de flambeurs

Zelda Sayre est née en 1900 à Montgomery, en Alabama, dans une famille aisée qui donna aux États-Unis plusieurs sénateurs et gouverneurs. Fillette vive, elle aime la danse et les mondanités en méprisant la mentalité compassée du Sud où elle grandit. « Pourquoi travailler toute sa vie quand on peut emprunter ? Songeons à vivre aujourd’hui sans souci du lendemain », écrit-elle dans la légende qui accompagne son portrait dans le Yearbook de son école.

Zelda, la scandaleuse, rencontre Scott Fitzgerald, écrivain épris de gloire et de jeunes filles riches. Ils se marient en 1920, au lendemain de la Première Guerre mondiale et de la publication de l’Envers du Paradis, le roman de cette génération perdue qui fuit le puritanisme ambiant et la désillusion du rêve américain. Fort de ce premier succès, Scott devient l’auteur qui compte. Ernest Hemingway, qui démarre sa carrière, le courtise. Pris dans le tourbillon de la célébrité, Zelda et son mari flambent dans les palaces, s’étourdissent dans les fêtes extravagantes de la Côte d’Azur où coulent des rivières de champagne et de whisky. Scott couche sur le papier leur vie rêvée. Le couple devient le personnage principal de sa propre tragédie. Ils s’aiment et se déchirent. Zelda craque pour un aviateur français. Cette infidélité sert de trame à Gatsby le Magnifique, millionnaire mystérieux qui noie sa solitude en dilapidant sa colossale fortune dans des soirées délirantes tout en nourrissant une obsession pour Daisy, la femme de son voisin. La fresque décadente deviendra le roman d’une époque.

Fin de l’insouciance

Épouse négligée qui souffre d’isolement lorsque son mari écrit, Zelda cherche à développer ses talents créatifs. Après avoir tenté, en vain, de revenir à la danse, et de s’essayer à la peinture abstraite, c’est dans la littérature qu’elle se réalise. Mais les nouvelles qu’elle publie dans les magazines sont signées… Scott. Le krach de 1929 sonne la fin de l’insouciance. Pour la jeunesse dorée, c’est la gueule de bois après l’orgie. Et pour Zelda, une longue descente aux enfers. Mais cette fois, aucun Orphée ne vient au secours d’Eurydice.

En 1932, alors qu’elle soigne sa schizophrénie à l’hôpital John Hopkins de Baltimore, Zelda Fitzgerald écrit en six semaines son chef-d’œuvre : Accordez-moi cette valse, roman semi-autobiographique qui déclenche la furie de son époux. Scott se reconnaît dans le personnage secondaire de l’histoire, et voit dans celui de l’héroïne Zelda, qui s’accorde ainsi le premier rôle. Il lui reproche de puiser son inspiration dans leur vie commune… où lui-même pioche allègrement. Et aussi de dévoiler des éléments de son prochain livre, Tendre est la nuit, qu’il lui demande d’effacer de son manuscrit. Accablée, mentalement fragilisée par une dépression chronique, la lourdeur de ses traitements et le harcèlement moral de Scott, Zelda Fitzgerald est internée à l’hôpital psychiatrique d’Ashville dès 1936, où elle décède douze ans plus tard, brûlée vive dans l’incendie qui ravagea l’établissement. « Pourquoi avons-nous gâché les meilleures années de notre vie ? demande un personnage d’Accordez-moi cette valse à un autre. Qui lui répond : Afin qu’il ne nous reste pas de temps inemployé pour la suite. »

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