Les pères du World Wide Web

En 1990, un Belge et un Britannique mettent au point, à Genève, un système d’échange d’informations numériques. Le WWW est né et le monde ne sera plus jamais le même.

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Logo historique du WWW, crée par Robert Cailliau. Constitué de trois W utilisant la police Optima Bold, selon Cailliau lui-même.

Commençons par une polémique. S’il est indiscutable que le World Wide Web (WWW) a bien été développé au Centre européen de recherche nucléaire (CERN), à Genève, sa paternité reste sujette à discussion. Alors qui de l’informaticien britannique Tim Berners-Lee ou de l’ingénieur belge Robert Cailliau en est l’auteur ? Disons que le premier a inventé le terme WWW et en a eu l’idée et que le second l’a beaucoup aidé à la concrétiser et à la diffuser. Pour le monde entier, les deux scientifiques restent les cofondateurs du web. Même si Tim Berners-Lee minimisera plus tard l’apport scientifique de son collègue, le WWW est le fruit de leur but commun : simplifier l’accès à la montagne de données récoltées au CERN aux scientifiques qui y travaillent. Petite précision : le web n’est pas internet, mais une série de protocoles qui permettent d’utiliser le réseau.

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Timothy John Berners-Lee, inventeur du World Wide Web.

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Né en 1947, Robert Cailliau arrive à Genève en 1974. Il a été formé à la Faculté de Gand à la mécanique des fluides, avant de se tourner, à la fin des années 60, vers l’informatique. La science est encore jeune. Sa capacité à classer les importantes masses d’informations des instruments de mesure l’intéresse. Tim Berners-Lee (1955), lui, est physicien, passionné d’informatique au point d’avoir fabriqué lui-même son premier ordinateur à l’Université d’Oxford en 1975. Embauché au CERN en 1984, il propose en 1989 un projet de gestion des informations fondé sur l’hypertexte, ce système qui permet de passer d’une information à l’autre sur internet, en cliquant sur un lien, un mot ou une image. Hypertexte, internet… Tim Berners-Lee et Robert Cailliau parlent le même langage. En 1990, ils créent les trois technologies principales du WWW : les adresses web (URL), le langage hypertexte (HTML) et son protocole de transfert (HTTP).

Dans la foulée, Tim Berners-Lee développe le premier navigateur web et un éditeur pour en créer les pages. Ils ne sont pas les premiers à avoir imaginé un moyen de surfer sur le réseau, mais leur WWW est le plus efficace. Il restera pour la postérité. Les deux scientifiques ont à cœur de voir leur invention servir le bien commun. Ils en font don à l’humanité en 1993. Manière de dire que ni l’un, ni l’autre, ni le CERN ne vont donc s’enrichir sur le dos du réseau et de ceux qui l’utilisent. D’autant que pour eux, le web doit avant tout diffuser les connaissances, favoriser les échanges d’information, participer à l’intelligence collective. En aucun cas, il ne doit servir un quelconque objectif commercial. La réalité sera tout autre. Si Robert Cailliau n’est pas à proprement parler le coinventeur du web, il en est le plus fervent prosélyte. Il va ainsi multiplier les Web Conferences jusqu’en 2004 pour le faire connaître, le faire évoluer et en défendre le principe de liberté.

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L'ingénieur et informaticien belge Robert Cailliau, cofondateur oublié du web.

La grande désillusion

De son côté, Tim Berners-Lee fonde en 2009 The World Wide Web Foundation pour expurger internet de tous ses maux. Son association cherche à étendre au plus grand nombre l’accès au réseau et à défendre sa neutralité, à protéger la vie privée en ligne de ses utilisateurs et à libérer toutes les données publiques. En 2018, il annonce quitter le World Wide Web Consortium (W3C) qu’il avait fondé en 1994 au Massachusetts Institut of Technology après son départ du CERN afin de promouvoir la compatibilité technologique du WWW.

Robert Cailliau va lui aussi gentiment déchanter face à ce web qui prône l’exact inverse de ce qu’il prêchait. Souvent considéré comme l’inventeur oublié du WWW, il se retire de la vie publique et n’accorde plus aucune interview depuis 2013. En 2018, le journaliste belge Quentin Jardon parvient à le déloger de sa forêt jurassienne pour un ultime entretien. Alexandria (Éd. Gallimard) raconte les illusions perdues d’un homme bercé d’utopie et qui préfère désormais s’intéresser au sauvetage de l’humanité. ■