Vous avez dit paradis fiscal ?

Il y avait certainement une bonne dose de naïveté, en Suisse, à s’imaginer que nous pouvions maintenir des échanges détendus voire amicaux avec nos voisins européens, tout en continuant à officiellement abriter chez nous les avoirs non déclarés de leurs contribuables. Mais il y a tout autant de naïveté à s’imaginer que la situation sera entièrement normalisée par de nouvelles règles de transparence et d’échange d’informations, comme s’il n’existait pas par ailleurs une guerre économique féroce entre diverses places financières internationales.

En donnant la parole non seulement à des spécialistes suisses reconnus en matière fiscale et bancaire, mais en procédant également à un survol des pratiques de divers Etats en matière de fiscalité ou de contrôle des flux de capitaux, nous avons voulu mettre en lumière que la Suisse, même très isolée, n’a néanmoins pas de motif à nourrir ce sentiment de culpabilité que l’on tente, avec un certain succès, de susciter chez nos concitoyens. Sans doute ne sait-on pas assez que l’Espagne (et pas seulement la Hollande) pratique le système des ETVE (entités détentrices de participations étrangères) qui a permis à Exxon d’encaisser en deux ans 10 milliards de bénéfice en franchise intégrale d’impôt ; et, si tout le monde ou presque a entendu parler du Delaware, sait-on concrètement, au-delà du nombre record de sociétés de domicile – plus d’une par habitant – que la création d’une entité nouvelle y est possible via Internet pour moins de 200 dollars et que l’ayant droit économique peut y rester totalement secret ? Et que ce petit Etat de la première puissance mondiale est loin d’être un cas unique, puisque plus d’une dizaine d’Etats américains (parmi lesquels le Nevada ou le Wyoming) se font concurrence dans ce créneau. Pas étonnant dès lors qu’un rapport sur la cybercriminalité désigne les Etats-Unis d’Amérique comme « le pays le plus recherché pour des flux financiers illicites »*. Et sans doute ne sait-on pas assez que la Suisse ne répond de loin pas aux critères reconnus des paradis fiscaux (avec, notamment, une imposition de la fortune très lourde en comparaison internationale), comme en témoigne le fait que les expatriés fiscaux français choisissent majoritairement l’Angleterre ou la Belgique, plutôt que la Suisse, comme nouvelle destination.

Quel intérêt, me direz-vous peut-être, à traiter cette thématique dans une publication à grand tirage ? Eh bien, parce qu’elle intéresse au fond encore plus le citoyen lambda que nos grandes banques : celles-ci sont organisées pour suivre et traiter la clientèle dans les nouveaux centres financiers qui prennent la relève de la Suisse, comme Singapour, tandis que nos concitoyens subissent directement les effets de la cure d’amaigrissement de la place financière suisse (plus de 10 % du PIB tout de même !). En d’autres termes, il ne s’agit pas tant de se préoccuper de la santé des banques suisses, largement globalisées, que de l’emploi dans notre pays et singulièrement dans notre région. N’est-ce pas dès lors une bonne raison pour que nous nous intéressions tous à cette problématique, à ses enjeux et à ce qui peut encore être sauvé ?

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