ALT

Changement climatique : quel impact sur le vin suisse ?

Avec des étés trop chauds et trop secs, les vignerons sont obligés de vendanger toujours plus tôt. Le réchauffement joue sur la qualité des raisins et oblige les paysans à changer leurs méthodes de travail.

Il y a des étés à 40° C qui débordent sur l’automne (septembre 2020 restera à l’échelle de la planète comme le mois de septembre le plus chaud jamais enregistré) ; des mois sans eau et puis des trombes qui s’abattent sans prévenir ; des hivers trop doux et des gelées tardives. Le réchauffement climatique et les dérèglements qui en découlent touchent toutes les strates de l’activité humaine, tous les domaines d’activité, dont la vigne. Cette année, les vendanges ont été particulièrement précoces, en raison d’un été chaud et très sec en Suisse comme ailleurs. Il faut quand même récolter, produire, entretenir la terre, travailler dans des conditions en perpétuel changement.

Comprendre la nature

Caroline Frey dirige plusieurs domaines français prestigieux : Château La Lagune à Bordeaux, Château Corton C en Bourgogne, Paul Jaboulet Aîné dans la vallée du Rhône. Elle passe son temps entre les différentes propriétés du groupe et le Valais, où elle produit en petite quantité ses deux cuvées de blanc baptisées Jardin secret. « Le réchauffement, mais surtout le dérèglement climatique nous impose de raisonner toujours de manière plus juste et de travailler en harmonie avec la nature et pas contre elle, car à ce petit jeu elle aura forcément le dernier mot. C’est le sens de la biodynamie qui, au-delà d’être une viticulture sans produits chimiques de synthèse, incarne une véritable compréhension de la nature et plus précisément des sols. »

Content image
Caroline Frey dirige plusieurs domaines français prestigieux et produit sa propre cuvée en Valais: Jardin secret. (Julie Rey)

Caroline Frey raconte comment les conditions climatiques nouvelles l’obligent à être encore plus méticuleuse dans le suivi de la vigne et l’entretien des sols. Cette année, par exemple, le début de saison a été assez sec, « ce qui peut perturber la mise en pousse de la vigne si les réserves hydriques de l’hiver ne sont pas suffisantes. C’est ce décalage des épisodes de pluie/sécheresse, chaleur/froid qui nous sollicite beaucoup pour que la vigne puisse faire son cycle correctement. »

Évolution du goût

Une autre jeune femme « règne » sur les parcelles familiales des Graff à Begnins. Pinot noir le Satyre en majesté, mais aussi une large gamme de crus. Neuf hectares de viticulture biologique avec mise en bouteilles au domaine. « Cette année, nous avons encore vendangé en septembre, alors que du temps de mon père, c’était en octobre, raconte Noémie Graff. Il faut désormais arroser tous les ans, mettre des systèmes de goutte-à-goutte alors que la pluie, auparavant, suffisait. » Elle décrit des raisins plus chargés en sucre, ce qui donne des vins d’autant plus forts en alcool avec des saveurs, des goûts qui évoluent : « On va de plus en plus sur de la cerise noire, des arômes de confiture, de pruneaux. »

Il faut s’adapter en permanence : « Après, s’adapter, c’est le propre des métiers de la terre ! sourit-elle. C’est sûr, j’aurais aimé affronter un défi moins difficile à relever, mais en qualité d’agricultrice, j’appartiens à un de ces rares corps de métiers capables d’apporter des réponses, des solutions à cette crise. Nous pouvons être des acteurs, des agents et non pas des spectateurs passifs. »

S'adapter, c'est le propre des métiers de la terre!

Noémie Graff, vigneronne à Begnins

Noémie Graff se réfère notamment au Centre national pour la formation supérieure en viticulture et œnologie de Changins qui a publié plusieurs travaux de recherche sur la question. Par exemple sur les ennemis des plantes cultivées émergeant dans un contexte de changement climatique.

S’adapter, c’est aussi le maître mot de Marie-Thérèse Chappaz, qui dirige sa cave à Fully. « On peut jongler avec les différents éléments : arracher certains cépages plantés à des endroits trop chauds et les replanter à des endroits moins ensoleillés ; changer d’altitude ; planter de nouveaux porte-greffes nécessitant moins d’eau. Nous avons la chance en Valais d’avoir une cinquantaine de cépages autorisés, nous pouvons faire preuve de plus de souplesse qu’en France. Mais je dois vous dire que la disparition des insectes, la destruction des forêts ou la pollution des eaux m’inquiètent bien plus encore. »

Climat de violence

Reste que la situation risque de devenir critique pour certains vignerons. Willy Cretegny est le président de l’ASVEI, l’Association suisse des vignerons-encaveurs indépendants. « On peut dire que les premiers signes du réchauffement sont apparus dans la vigne au milieu des années 80. Depuis, c’est une tendance lourde qui se dessine avec aussi des épisodes météorologiques plus violents. Tout est plus violent qu’avant en fait, y compris les épisodes de sécheresse. Du coup, on a commencé à planter près de Genève des cépages plus tardifs comme des merlot, le cabernet franc ou le viognier. »

Content image
x
(Grégory Devillers)
Marie-Thérèse Chappaz dans ses vignes de Fully. (Grégory Devillers)

La vigne, plante pérenne, a elle aussi, contrairement aux idées reçues, besoin d’eau. « L’équilibre de la plante nous préoccupe plus qu’avant », ajoute Willy Cretegny. Installé à Satigny, au cœur du plus grand domaine viticole de Suisse, il milite au sein de son association pour alerter les gens sur les changements en cours et réfléchir à de nouvelles façons de travailler. Il voudrait aussi que les autorités se montrent plus attentives. « Au niveau cantonal, on est écoutés, mais sur le plan fédéral, non. » Quant à Caroline Frey, elle explique que la première réponse à apporter, « c’est la qualité de la viticulture, il faut cultiver la terre. Le mot n’est pas anodin quand on y pense ! La terre, le terroir, c’est ce qui rend un vin unique. »