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Une maison pour les étudiants de la paix

Cet immeuble genevois déjà emblématique du futur Campus de la Paix au cœur du quartier international offre 135 logements aux étudiants de l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement. Visite guidée.

Il surplombe les voies CFF de son éventail de coursives blanches : ce bâtiment feuilleté est devenu, en quelques mois, un des emblèmes de la rive droite de Genève, quartier international. Et pourtant il n’abrite ni ONG ni organisme onusien. La Maison des étudiants Edgar et Danièle de Picciotto, comme son nom l’indique, abrite des étudiantes et étudiants du monde entier, venus suivre les formations universitaires de l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement à Genève. Le projet a été financé pour deux tiers par le banquier Edgar de Picciotto et son épouse (lire encadré page suivante). Depuis quelques mois, 243 heureux locataires occupent ces 135 logements, dont 72 studios et 63 appartements. A deux pas du Palais des Nations, au cœur du futur Campus de la Paix encore en plein chantier.

De dehors

Dans le quartier international, il y a de l’ovale tout en vitres bleu-vert (l’OMM), de la tour austère (l’UIT), du lourd palais intimidant (l’OMC, l’ONU), de l’hémicycle sur galette flanqué d’un pavillon en bois (l’OMS) et même bientôt six pétales de verre en chapelet le long des voies (la future Maison de la paix). Dans cette collection d’objets spectaculaires où chacun veut marquer son territoire, la Maison des étudiants semble jouer dans une autre catégorie. Elle a ce je-ne-sais-quoi qui signe une allure, un peu à la manière d’une personne qui émergerait d’une foule bigarrée : ni faussement modeste, ni trop humble, juste une silhouette qui se tient bien et occupe l’espace avec classe et aisance. Et cela ne tient pas à des effets de matériaux, de couleurs ou de formes extravagantes, mais bien à un parti, ferme et honnête, tenu d’un bout à l’autre du projet, qui parle à la fois de respect du contexte et du sens donné à chacun des éléments qui le composent.
Pour autant, mettre des mots sur ce qui procure ce sentiment d’adéquation (au pro-gramme et au site) n’est pas si simple. C’est beau sans être accrocheur, équilibré mais pas tout à fait régulier, fonctionnel et pas ennuyeux. A quoi cela tient-il exactement ? Hiéronyme Lacroix, l’un des architectes du bureau Lacroix-Chessex qui a remporté le premier prix du concours d’architecture sur invitation, se prête au jeu des « pourquoi », le temps d’une visite.

– Pourquoi un bâtiment tendu comme un arc ?

Pour s’adapter à la parcelle, en banane, et s’inscrire dans la dynamique de la voie ferrée qui se trouve juste au pied de l’immeuble, côté Jura. Côté ville et lac, où donnent tous les appartements, la courbe passe en second plan, en arrière du jardin. Cela change alors l’échelle du bâtiment, il paraît plus posé, plus calme, plus en adéquation avec le rythme de la promenade et de l’étude.

– Pourquoi tous ces balcons côté voies ?

Ce sont des coursives, qui desservent les logements, tous traversants. Ceux-ci disposent chacun de « vrais » balcons côté ville et lac et, de l’autre côté, de ces coursives qui fonctionnent aussi comme des espaces communs. La sous-face de dalle des coursives est en béton absorbant, enduite de crépi phonique ; elle protège les appartements du bruit des trains. Aux étages inférieurs, l’angle d’incidence du bruit est défavorable. Du coup, la dalle se replie fortement et fait alors aussi garde-corps. A mesure que l’on s’élève dans les étages, cet angle d’incidence devient plus favorable, et la sous-face de la dalle suffit à jouer le rôle « d’éponge à bruit ». La hauteur du repli se réduit, la balustrade en métal s’accroît. Ces éléments sont d’abord fonctionnels, mais ils participent aussi aux rythmes de la façade, par effet d’optique.

– Pourquoi ce sentiment d’embarquer sur un paquebot ?

Peut-être par l’effet d’éventail ouvert/fermé créé par le retour des coursives sur les deux pignons : ce feuilletage dessine d’une certaine manière une proue et une poupe. Et puis le rapport au sol est un peu particulier, et ce grand édifice semble flotter au-dessus des voies.

– Pourquoi tous les locaux communs sont-ils au rez-de-chaussée ?

Il n’y a pas de sous-sol, le socle du bâtiment est un parking P+R sur le toit duquel se trouve la Maison des étudiants, mais aussi le jardin clos en losange dessiné par Günther Vogt, ainsi que la promenade publique qui relie l’avenue de France à la passerelle de la Ville de Genève enjambant les voies. Les équipements collectifs de la maison – buanderie, réception, cafétéria avec billard, fitness, local vélos – sont ainsi en relation avec cet espace public.

– Pourquoi une telle unité dans l’aménagement intérieur ?

C’est l’une des grandes satisfactions pour nous dans ce projet : notre maître d’ouvrage nous a accompagnés dans toutes nos démarches et propositions, y compris la réalisation de certains meubles sur mesure par un menuisier au Portugal (tables des étages, tables de nuit, bureaux, lits et meubles cuisine). Les portes sont en panneaux bachélisés, sans poignées pour ne pas encombrer l’espace, mais entaillées dans l’épaisseur du panneau. Chaque centimètre compte, l’impression d’espace est essentielle. Les logements sont traversants, généreusement vitrés, sans seuils. Les murs sont laissés en béton brut, les cuisines blanches, les salles de bains aussi rationnelles qu’une cabine de bateau. Cela n’empêche pas le confort, les cuisines des studios sont habitables, grâce notamment à une petite tablette en bois intégrée à la fenêtre donnant dans la cuisine et sur la coursive.

– Pourquoi des appartements en plus des studios et des colocations ?

Ils sont surtout destinés aux chercheurs ou enseignants qui viennent ici pour un temps, mais aussi aux étudiants avec famille. Ils se situent aux extrémités du bâtiment et jouissent d’une vue à toutes les échelles du paysage environnant, de la gare au lac, du quartier de Sécheron au Jura.