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Sous les pavés… les plantes et la chaleur humaine

Mini-poulaillers au pied des tours de Carouge, ruches sur les toits de Plan-les-Ouates, et plantations à chaque coin de rue, Genève est gagnée par la fièvre verte.

À Carouge, le 16 rue des Moraines s’active en ce début d’été. Accolé à la marbrerie Rossi, cet îlot de près de 2 500 m2, inoccupé depuis 2011, reprend vie sous l’impulsion de l’Association Largescalestudio. « Nous avions repéré cette friche urbaine en 2016 et rêvions de la transformer en lieu de vie pour le quartier. Une fois les propriétaires trouvés et les demandes d’autorisation acceptées pour aménager temporairement le terrain, le projet a pu être lancé », explique Sébastien Lutzelschwab, un des cofondateurs. Pour cette première expérience, tout est allé relativement vite ! Fin mars, l’Association obtient le feu vert. Fin avril, les affiches placardées sur la place du marché et les flyers glissés dans les boîtes aux lettres invitaient les Carougeois à venir « planter leurs graines » le 6 mai. Une cinquantaine de jardiniers débutants ou plus aguerris a répondu à l’appel et le 20 mai… le jardin était inauguré ! Mi-juin, difficile de croire que cet espace vert n’était qu’un amas de gravats et d’herbes folles. La barrière métallique occultant l’ancienne friche s’ouvre désormais sur une dizaine de buttes, toutes foisonnantes de végétaux,
malgré la canicule. À l’autre bout, des bacs hors sol offrent des terrains d’expérimentation plus personnels. « L’utilisation du terrain étant temporaire, l’idée des bacs hors sol, faciles à déplacer, s’est imposée. Cela répond aussi à la problématique de la pollution des sols en ville », poursuit Sébastien. Mais on ne se contente pas de planter des carottes, de la ciboulette ou des fraisiers. « Pousser les riverains à s’approprier un espace inexploité pour l’animation, la création de lieux de vie et la végétalisation de l’espace urbain, c’était notre point de départ, explique encore le jeune architecte. On revitalise l’espace urbain, on sensibilise à la question alimentaire aussi, tout en se reconnectant à l’autre, en recréant du lien social dans les quartiers, pour un meilleur vivre ensemble. » Au moment des récoltes, sur la zone des jardins partagés, fruits et légumes seront utilisés pour des repas communs alors que le contenu des bacs est laissé à chaque utilisateur.

J’y viens tous les soirs pour arroser et cela me coupe de la routine et me ressource.

Dès 18h45, les jardiniers de quartier rejoignent les initiateurs du projet car, comme tous les mardis, une permanence se tient sur l’organisation du jardin ! Attablé sous un prunier sauvage, chacun se joint aux discussions autour de tranches de melon, de viande séchée et d’un petit verre, apportés par les uns et les autres. L’atmosphère conviviale montre que le projet a bien pris racine.
« Je me suis inscrite dès le départ parce que j’aime jardiner, reconnaît Isabelle, mais cela
m’a aussi permis de rencontrer des gens qu’il m’arrivait de croiser dans le quartier, sans engager la conversation. Maintenant lorsque l’on se voit, on se salue, on s’arrête pour échanger sur nos plantations respectives, notre plaisir d’avoir goûté une fraise. J’apprécie aussi la mixité sociale que je retrouve ici, ce mélange intergénérationnel qui s’entraide. Je vais partir en vacances dans quelques jours et j’ai déjà dit à mes amies qui arroseront mon bac de se servir. » « Moi, j’habite en appartement, poursuit Saba, sa voisine de bac, et c’est une vraie richesse d’avoir désormais un jardin. J’y viens tous les soirs pour arroser et cela me coupe de la routine et me ressource. » L’association espère bien multiplier les projets de ce type sur les friches disponibles dans le canton. Mais il faut aussi pouvoir les financer. Au niveau des subventions, le projet Nomad’s Land devrait bénéficier de 4 500 francs de la Ville de Carouge et d’un peu plus de 12 000 francs de l’État de Genève par son programme « Nature en Ville ».

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À chacun son bac ! Bientôt le temps des récoltes, à rapporter chez soi ou à consommer sur place. Convivialité assurée !

Jardiniers de rue

À l’instar de Nomad’s Land, les projets n’en finissent pas de percer le bitume, que ce soit à Genève, ou Onex, Vernier, Meyrin… il n’y a qu’à se balader sur les plateformes d’Equiterre et de GeneveCultive pour en me-surer l’ampleur. Le Tambougreen, la Bande- Verte, le futur de Caroline, les jardins de Cayla… et bien d’autres favorisent l’échange et le partage et créent du lien dans les quartiers. Les villes prennent alors des airs de campagne grâce aux poulaillers des tours de Carouge ou de Vernier et aux ruches installées sur les toits plats du canton par le biais de BeeOtop et d’Apidae, bientôt producteur d’un miel de quartier !

Pas d’excuse… car quelques mètres carrés suffisent !

Inutile de chercher des hectares de terrain pour lancer son initiative. Monica Huber, urbaniste, et Anne Besse, gérante du café du Grütli, se sont contentées de quelques m2 face la terrasse pour déposer des caisses de vin transformées en jardinières. Après des demandes d’autorisation infructueuses en 2015 auprès du Seve, le duo se tourne en 2016 vers « Genève cultive », qui les conseille sur les démarches à suivre. Le binôme s’étoffe grâce à des usagers du café et des amis artistes et devient le collectif Végétalis. « Cette formule nous a permis de nous rattacher à la charte des jardins tout en respectant les spécificités du nôtre : partage des cueillettes, prise de décisions au consensus et mode de fonctionnement participatif pour offrir au projet des bases de gestion collective. Chaque membre peut proposer des actions et communiquer ses idées en passant par les réseaux sociaux », explique Monica. Le mini-jardin a lui aussi pris de l’ampleur. Quelques buttes disposées en forme d’étoile tiennent compagnie aux caisses initiales, mais l’intention reste la même : On y vient pour apprendre ou pour transmettre, pour proposer des interventions sensibles qui permettent de réintégrer une dimension naturelle conviviale et poétique au coeur de la ville, pour susciter la curiosité, pour entrer en contact. Et ça marche ! « Les gens sont interpellés par l’affichette poétique placée devant le jardin et souvent ils s’arrêtent quand on gratouille la terre pour demander le nom d’une plante. Ils sont curieux d’apprendre, explique Monica. L’éthique, semblable à celle des incroyables comestibles, invite chacun à se servir et cela se passe dans le respect, reconnaît Monica. Cela a permis aussi d’apporter un regard différent sur cette bande de terre, d’observer le mouvement naturel des saisons, à travers la croissance des plantes ou à l’automne avec les magnifiques feuilles des érables Liquidembar que l’on rassemble en tas au milieu du jardin et de devenir des cocréateurs. »

Pour le moment, on ne sait pas encore ce qui va éclore des bacs et de ces buttes, quoi qu’il en soit, les relations humaines, elles, ont bel et bien pris racine !

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Environnement