Solidarité et responsabilité : la recette oubliée ?

Le coût de la santé est certainement le sujet qui se prête le mieux aux déclarations à l’emporte-pièce et aux dérives populistes. Si le montant des primes d’assurance maladie augmente sans cesse, c’est forcément parce qu’il y a des profiteurs, cela va de soi…

Pourtant, on peut estimer que le verre est – au moins – à moitié plein : rappelons-nous qu’au début des années 1950, l’espérance de vie moyenne en Suisse était de quelque 69 ans. Elle se situe actuellement à près de 83 ans. Et on peut affirmer sans risque que le gain n’a pas été seulement mesurable en années, mais aussi en qualité de vie des personnes malades ou « âgées ». Dans une large mesure, le citoyen en a dès lors eu pour son argent : à la croissance des coûts correspondait une amélioration qualitative et quantitative dont tous ont bénéficié. Pour qu’une statistique démontre un progrès, il faut par définition que l’évolution soit générale.

Si le système semble aujourd’hui se gripper, c’est sans doute, en partie, parce que l’État a mal calibré son intervention. Voilà qui illustre à nouveau un axiome connu : chaque entrée en scène étatique engendre des déséquilibres et des dysfonctionnements, qui mènent à l’intervention suivante, laquelle génère de nouveaux dysfonctionnements et dérèglements, qui… La spirale est sans fin. Cela risque de se terminer par une étatisation complète, dont l’attrait paraît contestable si l’on observe les interminables attentes, pour des opérations souvent banales, qui caractérisent les systèmes de santé britannique ou canadien, où le patient mérite bien son nom et où la socialisation de la médecine a mené à un marché parallèle réservé aux nantis.

Singapour affiche une espérance de vie équivalente à celle de la Suisse, pour des dépenses de santé globales deux à trois fois inférieures.

Comment pratiquer la solidarité en évitant la mutualisation intégrale, synonyme de déresponsabilisation ?(*) Est-il vraiment antisocial, par exemple, d’imaginer une franchise de base supérieure à 300 francs ? Pourquoi interdire, en marge de l’assurance obligatoire, les transactions libres entre acteurs « libres » ? Et que penser d’une « protection tarifaire » qui aboutit, à l’extrême, à ce que certaines prestations ou interventions déficitaires ne soient plus pratiquées dans les cliniques privées, entraînant un engorgement des hôpitaux publics ? Enfin, est-il tabou de s’interroger sur le luxe inouï que représentent, aux frais du contribuable, deux hôpitaux universitaires complets à 60 km de distance (Genève et Lausanne) ?

Plutôt que de bricoler dans le cadre d’une molle fuite en avant, est-il envisageable de remettre à plat le système ? Sommes-nous si intelligents que nous ne puissions nous inspirer de ce qui se fait ailleurs ? De fait, la comparaison a de quoi nous rassurer, mais aussi nous stimuler. On est rassuré, d’une certaine façon, en constatant que les États-Unis sont les champions des dépenses de santé, pour un résultat particulièrement calamiteux : des dizaines de millions de citoyens non couverts et une espérance de vie en recul pour la troisième année consécutive(**) ! Mais d’un autre côté, on trouve Singapour, dont la dépense sanitaire globale est largement inférieure à celle de la Suisse, pour une espérance de vie similaire ; apparemment, la responsabilisation individuelle engendrée par l’existence de comptes-épargne de santé individuels produit des résultats convaincants(***) ; parallèlement, un effort important est consenti dans la cité-État asiatique pour agir sur les situations et comportements à risques (que l’on n’ose que trop peu aborder sous nos latitudes – et pourtant : 80% des coûts de la santé sont liés à des maladies chroniques favorisées par l’obésité et la sédentarité).

Mais notre dossier ne se limite pas à la question des coûts de la santé ; au-delà d’un panorama des particularités des systèmes de santé de certains pays (Canada, Hongrie, États-Unis, Singapour) sont évoquées la question du report de l’âge de la retraite au Japon, la téléphonie mobile qui améliore la couverture des soins et la tenue des dossiers en Afrique de l’Est, ou encore les perspectives naissantes de l’impact de la « révolution NBIC ». Celle-ci consiste à croiser nanotechnologies, biologie, informatique et sciences cognitives, favorisant l’émergence d’un homme augmenté, hybride, constamment en autoréparation du fait d’implants intégrés.

Tout cela – que ce soit sous l’angle des coûts de la santé(****) ou sous celui de l’absence de limites éthiques claires à l’« augmentation » de l’être humain – nous mène à une autre thématique à part entière que nous n’avions pas la place de traiter ici, peut-être trop délicate pour faire plus que la mentionner : peut-on faire l’économie d’une réflexion philosophique sur l’acceptation de la mort comme manifestation tangible (et immuable) de notre finitude ?

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