Russie, une opposition sous contrôle
Vladimir Poutine est le lion de la fable. Son pouvoir est sans limites. Alexeï Navalny est le moucheron de l’histoire. Ni la prudence, ni la raison n’entravent son obstination à agacer le maître du Kremlin. Mais, comme dans la fable, le plus puissant des deux ne peut écraser son insignifiant adversaire qu’au risque de s’infliger lui-même de profondes blessures.
Gazprom-Média contrôle aussi très étroitement l’Internet russe.
Le Président Poutine pourrait faire jeter Alexeï Navalny en prison mais il préfère feindre l’indifférence et laisser ses amis choisir les méthodes qu’ils jugeront les meilleures pour mater l’incorrigible Navalny. En 2013 par exemple, Yevgeny Prigozhin a cru avoir trouvé la solution idéale. Celui que l’on surnomme « le Chef de Poutine », parce qu’il a commencé à accumuler une fabuleuse fortune en organisant les banquets d’anniversaire de son patron, a créé sa « première ferme à trolls », à Saint-Pétersbourg. L’Internet Research
Agency paie des milliers d’internautes pour qu’ils saturent les blogs et les réseaux sociaux de « fake news » ou de commentaires hostiles aux ennemis de Vladimir Poutine. Alexeï Navalny a ainsi été accusé d’être tout à la fois un fou, un imbécile et un traître vendu à ces puissances qui verraient d’un mauvais oeil la résurrection de la Russie sous l’autorité bienveillante du Président Poutine. Mais cela n’a pas suffi.
Un certain âge d’or du journalisme russe s’est brutalement terminé. Les oligarques que Boris Eltsine avait favorisés après l’implosion de l’URSS avaient investi une large partie de leurs fabuleuses fortunes dans des empires médiatiques auxquels, paradoxalement, ils avaient accordé une grande liberté d’expression et d’enquête.
Une liberté révolue
Avec l’arrivée en 1999 de Vladimir Poutine au pouvoir, les oligarques sont sommés de se soumettre ou de se démettre. Ceux qui se pensent assez forts pour ignorer l’ultimatum sont politiquement, fiscalement puis judiciairement écartelés. Tous les médias que possédaient les oligarques déchus sont passés sous l’autorité de Gazprom, le titan russe de l’énergie, entièrement dévoué au Kremlin. La holding Gazprom Media possède des dizaines de journaux dont les historiques Komsomolskaïa Pravda et Izvestia, diz chaîne de télévision, des maisons d’édition et des agences d’achat d’espaces publicitaires.
Gazprom-Média contrôle aussi très étroitement l’Internet russe. Navalny n’apparaît dans ces médias sévèrement contrôlés que pour y incarner le rôle d’un repoussoir, un individu agité et soumis aux intérêts étrangers, l’opposé absolu du Président Poutine qui sait tenir ses nerfs, son pays et la gorge de ses ennemis. Le harcèlement judiciaire aggrave les effets du pilonnage médiatique que subit Navalny. Son site est fermé régulièrement, on l’empêche de se présenter aux élections sous le prétexte un peu bancal qu’il serait mêlé à une affaire de fraude. La fondation qui finance et organise les meetings de Navalny a été interdite. Le message anticorruption de l’opposant ne peut plus être diffusé que par Facebook et YouTube que le pouvoir judiciaire russe menace maintenant de bloquer entièrement. Mais cet acharnement produit des effets contraires à ceux recherchés. Navalny, qui n’a guère de programme politique et économique en dehors de ses slogans anticorruption, a de plus en plus d’influence sur la jeunesse urbaine russe avide de vertus publiques mais qui n’a jamais rien connu d’autre que le glacial pouvoir poutinien.
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