Les autos rétros veulent rester branchées

En théorie, on peut convertir n’importe quel véhicule à essence à l’électrique. L’opération s’appelle le retrofit. En France, cette métamorphose, encore très chère, commence à se répandre. Mais en Suisse, les autorités n’y voient, pour l’instant, pas vraiment d’intérêt. Alors que faire du neuf avec du vieux reste un gage de durabilité.

Et si votre coupé, votre berline adorée, votre moto rutilante qui, tous, carburent à la bonne vieille essence, n’étaient pas condamnés à rouiller dans votre garage ? Certes, l’Union européenne a décidé de bannir les véhicules à essence, diesel et hybrides au profit du tout-électrique après 2035. Histoire d’émettre moins de CO2 principal responsable du réchauffement climatique. Certains constructeurs ont déjà pris les devants : plus aucun véhicule neuf à moteur à combustion chez Fiat et Opel dès 2028 ; 2030 chez Volvo et Ford (en Europe). Trois ans plus tard, Audi suivra… et ainsi de suite…

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On peut très bien électrifier sa vieille R5. Mais encore faut-il en avoir les moyens.

Opération technique

La Suisse a beau résister et s’opposer à la législation européenne, il ne sera tout simplement plus possible d’acheter un véhicule non électrique neuf puisque plus personne n’en construira. Les pompes à essence (sans plomb ou diesel) disparaîtront au profit des prises électriques ou des pompes à hydrogène. Adieu donc le rêve de continuer à conduire votre véhicule actuel ? Pas forcément ! Une solution existe : le retrofit, cette opération qui consiste à remplacer le moteur thermique d’un véhicule (moto, voiture, camion, bus) par un électrique. Certains se souviennent peut-être de Meghan et du prince Harry, filant à l’issue de leur mariage en 2018 à bord d’une Jaguar type E de 1968 électrifiée. Attention, cependant, la métamorphose n’est pas à la portée du premier bricoleur venu. Elle requiert l’intervention de mécaniciens chevronnés, capables de retirer le moteur thermique et le réservoir du véhicule, et de les remplacer par un bloc électrique et une batterie. Le tout nécessite aussi une série d’homologations, de demandes officielles.

Et pas mal d’argent… En France, une entreprise s’est spécialisée en la matière. Rev Mobilities a compris dès 2017 que si les 20 millions de véhicules thermiques actuels ne pourraient plus rouler en 2035, le rétrofit serait une alternative à l’achat d’un véhicule électrique neuf ou d’occasion. Présentée comme la solution écologique numéro 1, on sait aussi que la voiture électrique ne l’est pas puisque les batteries nécessitent une exploitation gravissime des ressources minières. Autant, donc, recycler du vieux plutôt que de produire du neuf. Plusieurs études ont démontré que l’impact carbone est réduit de 38% par rapport à l’achat d’un modèle électrique neuf avec destruction de l’ancienne voiture. « Le rétrofit est une réelle alternative, et nous recevons de plus en plus de demandes », assure Arnaud Pigounides, président de REV Mobilities. Preuve de la solidité du projet, l’État français et des banques telles que le Crédit Mutuel appuient financièrement l’entreprise qui vise la transformation de 30’000 voitures dans deux ans.

Des bâtons dans les roues

Il y a deux ou trois ans, le chef d’entreprise affichait encore sa volonté de s’implanter en Suisse. Avant de déchanter. « Depuis la création du rétrofit, nous avons près de 5% des visiteurs du site et demandes de devis qui viennent de Suisse où le principe était moins connu, explique-t-il. Hélas ! le Covid et les confinements nous ont obligés à revenir en arrière et avons reporté notre expansion. » Arnaud Pigounides ne désespère pas pour autant de franchir un jour la frontière. « Les choses évoluent : la population suisse vient de voter pour aller vers une neutralité carbone. Le retrofit prendra toute sa place. La massification arrive en France et très bientôt dans de nombreux pays comme la Suisse. »

Sauf qu’à l’heure actuelle, la situation n’a rien de simple. Yannick Giroud est le chef de la division technique du Service des automobiles et de la navigation du canton de Vaud. C’est par lui que passent les demandes d’homologation. « Nous n’avons que deux projets de retrofit en cours. Et la situation dans le reste de la Suisse romande est tout à fait comparable à celle du canton de Vaud. » La législation, les réglementations freinent tout développement du phénomène pour le moment. « La manière dont les choses évolueront dépendra vraiment des facilités que les autorités fédérales pourraient donner », reconnaissait-il dans un article du site Efficience21.ch. Nombre d’experts estiment que la volonté politique dans la Confédération est inexistante en la matière. En tout cas, les blocages sont innombrables. Contrairement à la France, il n’existe aucune subvention pour la transformation d’un véhicule essence en véhicule électrique.

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Le retrofit ne concerne pour l’instant que les modèles automobiles les plus populaires.

Pari suisse

« La Confédération n’offre aucun soutien financier pour une telle transformation et aucun changement n’est prévu sur le plan fédéral pour le moment », confirme Marina Kaempf, responsable de la communication du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication et de l’Office fédéral des routes. Avant d’énumérer la liste interminable des articles de loi régissant la pratique. La Suisse voudrait empêcher le retrofit d’exister, qu’elle ne s’y prendrait pas autrement.

Comment, dans ce cas, réussir à s’implanter dans le domaine ? C’est pourtant le pari entrepris par Revive, entreprise implantée à Brügg, dans le canton de Berne. Tous les développements sont réalisés en Suisse, en collaboration avec des experts certifiés. Les équipes techniques développent des kits complets de conversion électrique pour une large gamme de véhicules anciens. « La puissance du moteur, la capacité de la batterie, les spécificités du véhicule et ses performances globales devront être prises en compte afin de trouver la meilleure combinaison technique, analysent Serge de Wilde et Nicolas Moro, les deux dirigeants de l’entreprise. En général, nous proposons une augmentation d’environ 100% du couple et 50% de la puissance, avec une autonomie moyenne de 200 kilomètres. »

Pas rancunier, Arnaud Pigounides, qui pense que les véhicules rétrofités représenteront 3% du parc automobile français d’ici deux ans, entre 5 et 10% d’ici quinze ans, oriente vers eux les personnes qui le sollicitent depuis la Suisse. Chez Revive, malgré toutes les embûches semées sur le chemin du retrofit dans la Confédération, on y croit pourtant. « Nous avons décidé de nous lancer en 2020 avec la fondation de Revive Conversions SA. Je suis un serial entrepreneur, avec plusieurs entreprises à mon actif depuis la fin des années 1990 », continue Serge de Wilde, un ancien de la finance, du commerce de matières premières, de l’informatique et de l’horlogerie.

Coccinelle électrique

Entouré d’ingénieurs mécaniques et électroniques et d’un designer, il a transformé une dizaine de véhicules et prévoit de procéder désormais à une trentaine de conversions par an, plus une vingtaine dans des garages partenaires. Pour quel coût ? En France, on parle de l’équivalent d’environ 15’000 francs. « Pour l’instant, en Suisse, cela n’est pas réaliste, répond-il. Pour un très petit véhicule, cela peut partir de 25’000 francs, mais en général, tout inclus, on se retrouve plutôt à 40’000, voire beaucoup plus. Les batteries représentent près de 50% du coût. Il faut aussi compter la main-d’œuvre et les certifications, hors de prix ici. » L’ensemble des opérations prend entre deux semaines, si un kit de transformation existe et que toutes les pièces sont disponibles, à parfois six mois. « C’est vrai qu’il n’y a pas de volonté politique suffisante, se désole Serge de Wilde, le gouvernement attend que les entreprises et les privés fassent l’effort du changement, c’est regrettable… Il faudrait aussi que les autorités commencent à établir des règles claires et identiques pour tout le pays. Mais heureusement, nous avons des clients pionniers ! » Pionniers et passionnés. Comme l’est ce chef d’entreprise dont le premier projet de conversion aura été de s’attaquer en 2018 à une Volkswagen de 1972. Transformée en électrique, la mythique automobile, magnifique, roule toujours parfaitement et sans plus émettre la moindre pollution. Logique pour une Coccinelle. ■