Réseaux sociaux : tous accros !

En Suisse, où le temps passé devant les réseaux sociaux est l’un des plus élevé d’Europe, de plus en plus d’adultes voient leurs heures dévorées par cette mauvaise habitude. Au point, pour certains, de devoir consulter…

On connaissait la dépendance à l’alcool, aux drogues, au jeu, au sexe… Une autre est apparue ces dernières années, qui altère également la lucidité, nous vole un temps fou, nous coupe des autres : l’addiction aux réseaux sociaux. On ne parle pas ici des ados, mais bien d’adultes qui, comme leurs enfants, consacrent beaucoup trop de temps aux réseaux sociaux. À en être si ce n’est malade, du moins en véritable souffrance et devoir consulter pour s’en défaire.

Drogue dure

Récemment, des scientifiques de l’Université du Michigan ont sélectionné 71 volontaires. Chacun a renseigné son utilisation de Facebook, son sentiment lorsqu’il se connecte puis ferme l’onglet. Chaque participant a ensuite passé le test de l’Iowa Gambling, habituellement employé pour évaluer la capacité à prendre une décision. Résultat, les plus indécis étaient aussi ceux qui se connectaient massivement au réseau social. Autre conclusion du professeur Dar Meshi, principal auteur de l’étude : « Les consommateurs d’opioïdes, de cocaïne et d’amphétamines obtiennent les mêmes résultats qu’eux : leur mécanisme de prise de décision est altéré de la même façon que les accros à Facebook. » Une analyse qui fait froid dans le dos de la part du scientifique : « Certes, ces plateformes apportent de nombreux bénéfices sur la vie des gens, mais elles représentent aussi une menace quand les usagers deviennent incapables de s’en séparer. »

Instagram ad nauseam

Comme beaucoup d’entre nous, quand elle se réveille, Marie réactive son téléphone portable. Mais ensuite, elle plonge dans le vaste monde d’Instagram. « Et là, c’est parti, soupiret-elle. Parfois, j’y reste tellement longtemps que j’en ai la nausée. Au sens propre du terme, comme après avoir trop mangé. » Âgée de 51 ans, Marie est comédienne, mère de deux grands enfants. Comme tant d’adultes, elle se dit elle-même « accro » à son portable, mais surtout aux réseaux sociaux, en l’occurrence à Instagram, à raison de souvent trois heures dans la journée. « Je ne suis pas du tout boulimique pour l’alimentation, mais c’est comme si je me bâfrais de sucreries. C’est l’outil du diable ! J’y ai fait des découvertes artistiques formidables, je m’en sers pour faire parler de mes spectacles. Mais c’est une véritable forme d’addiction, la seule que j’ai, mais ça me tue. »

Les Suisses passent en moyenne plus de deux heures et demie par jour sur les réseaux sociaux (contre une heure et quarante minutes pour les Français), un des scores les plus élevés en Europe. Facebook, YouTube, LinkedIn, Instagram, Snapchat, Twitter, Pinterest et TikTok n’en finissent pas de grignoter notre temps, jour et nuit. Plusieurs thérapeutes s’intéressent à ce phénomène. Niels Weber est psychologue-psychothérapeute, thérapeute de famille, spécialisé en hyperconnectivité à Lausanne. Il travaille avec des enfants, des adolescents, mais aussi des adultes, sur les questions d’usage excessif des écrans. « On considère qu’une utilisation des écrans peut être problématique dès le moment où elle entraîne une souffrance, affirme-t-il. Cette dernière peut être celle de l’utilisateur ou celle de son entourage. Par exemple, dans un couple, lorsque l’un des deux conjoints se plaint que l’autre n’est pas assez disponible… Le nombre d’heures passées devant un écran n’est pas un critère significatif. En revanche, dès le moment où certaines obligations sont délaissées au profit des écrans, on peut considérer qu’il y a un problème. Mais il est important de définir précisément quel est ce problème, et pour qui. »

Les Suisses passent en moyenne plus de 2h30 par jour sur les réseaux sociaux, contre 1h40 chez les français. 

Tuer le temps

On parle de ces familles que nous avons toutes et tous observées un jour au restaurant, attablées en vacances, chaque membre collé à son téléphone. De ces parents qui délaissent leurs enfants, en leur présence, à la maison, au match de foot, au parc. D’adultes qui, travaillant chez eux, savent pertinemment qu’ils doivent avoir terminé tel rapport tel jour à telle heure, mais ne s’y mettent pas, préférant se plonger encore et encore dans les réseaux. « Votre vraie vie ne se trouve pas dans votre téléphone, explique le Dr Nicolas Neveux, psychiatre à Paris, créateur du site www.e-psychiatrie.fr. À mes yeux, ce qui compte, c’est quand les bornes ne sont plus respectées. Il est 18 heures, les enfants sont rentrés de l’école, je devrais m’occuper d’eux, du repas et pourtant je n’arrive pas à me détacher des réseaux sociaux. Je tue le temps, au sens propre comme au sens figuré. »

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(iStock)
Lorsque votre vraie vie se trouve dans votre smartphone.

Vie rêvée

Autre effet pervers des réseaux sociaux, le côté « Miroir, mon beau miroir… » Instagram, TikTok ne connaissent pas les coups de mou, la dépression, le manque d’argent… La vie y est toujours présentée sous un aspect flatteur, magnifiée, avec, parfois, l’idée de se mettre en valeur ou de rendre les autres jaloux. Nous obligeant, par conséquent, à comparer notre sort à ce que donne à voir notre smartphone. « Je vois parfois des copines ou des copains que je connais depuis longtemps, qui montrent leur vie qui a l’air formidable, mais moi je n’en fais pas partie, se désole Léa, une infirmière de 38 ans. C’est comme s’il existait à côté de moi une vie incroyable dont je suis exclue. Le pire, ce sont les vacances d’été. Toute cette exhibition de lieux magnifiques et toi tu te dis ‘ mais regarde où moi je passe mes étés… De quoi j’ai l’air ? ’ Installée à Lausanne, la psychologue Nadia Droz connaît bien ce type de réactions, qu’elle retrouve chez certains de ses patients. « La question : ‘ Pourquoi les autres y arrivent et pas moi ? ’ est alimentée et augmentée par les réseaux, car les gens croient que c’est vrai, analyse-t-elle. Ils pensent que les autres ne vivent que de succès et ne partent en vacances que dans des endroits de rêve. Je leur réponds que peu de gens postent des éléments sur un échec… »

Surtout, les thérapeutes vont se demander ce que cache l’addiction aux réseaux, partie immergée de l’iceberg. « En réalité, l’écran n’est jamais le problème lui-même, insiste Niels Weber. Il faut donc considérer qu’une utilisation excessive est un symptôme pour exprimer un mal-être, se protéger d’une menace ou d’un inconfort. » On sait aujourd’hui que passer un nombre d’heures déraisonnable sur son écran, alors qu’il y aurait tant d’autres choses à faire, est le révélateur d’un état dépressif. Qui, lui aussi, peut se soigner. ■