Radio Okapi, dernier bastion de la liberté de la presse en RDC

Dans un pays situé au 142e rang au classement de la liberté de la presse, Radio Okapi assure son indépendance et donne la parole à tous les Congolais. Une liberté menacée par un manque de financements des bailleurs de fonds.

Comme tous les matins, Cédric Kalonji traversait Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC) pour se rendre à son bureau de Radio Okapi. Mais ce jour de 2005, l’agitation de la rue était inhabituelle : des bulldozers détruisaient des centaines de maisons du quartier voisin. Quelques heures plus tard, le journaliste était déjà sur le terrain avec son micro pour donner la parole aux habitants expulsés. Rapidement, son enquête révèle que ce « nettoyage » n’est autre qu’une vague histoire de règlement de compte personnel entre le gouverneur de la capitale et le propriétaire d’une station essence du quartier. Le lendemain, le gouverneur était démis de ses fonctions. « Radio Okapi a un vrai rôle démocratique et une force de frappe incroyable, confie Cédric Kalonji, qui a travaillé pour cette radio pendant quatre ans. Je savais que le président lui-même nous écoutait. » Fondée en 2002, au lendemain de la « Deuxième guerre du Congo » qui a fait plusieurs millions de morts, Radio Okapi se voulait avant tout un outil de réconciliation et de paix. Trois journalistes suisses, Jean-Marie Etter, Philippe Dahinden et François Gross, profondément marqués par le génocide du Rwanda en 1994, décident de créer la Fondation Hirondelle pour favoriser la liberté de la presse dans les pays post-conflits. Radio Okapi, leur projet le plus ambitieux, ouvre ses premiers studios en 2002 grâce au soutien financier de nombreux bailleurs de fonds, et principalement des Nations unies. « A Kinshasa, on pouvait enfin savoir ce qu’il se passait à l’est, à plusieurs milliers de kilomètres de nous, se souvient Cédric Kalonji. C’était une première. On découvrait une autre partie de notre pays. »

L’Etat n’a de démocratique que le nom, mais surtout il n’y a aucune économie des médias.

Les ondes de Radio Okapi, qui diffuse ses programmes en quatre langues, quadrillent la RDC, un pays immense, grand comme l’Europe occidentale. Les infrastructures sont détruites, l’électricité manque, les moyens de transport sont quasi inexistants entre les grandes villes du pays, mais il suffit d’un petit transistor à piles pour s’informer. « Au Congo, la radio joue un rôle essentiel dans la transmission de l’information, explique Amadou Ba, directeur adjoint de Radio Okapi. Il y a une vraie culture de l’oralité. » Quand leurs confrères des journaux locaux sont soumis à des pressions financières terribles (salaires de misère, parfois impayés), mais aussi à des pressions politiques (11 journalistes ont été tués ces seize dernières années), Radio Okapi bénéficie du « parapluie de l’ONU », comme disent ses journalistes… Ce sont des bailleurs de fonds étrangers qui payent leurs salaires, et la communauté internationale a les moyens de faire pression sur le gouvernement congolais. « Il est presque impossible d’avoir une vraie liberté de la presse au Congo, analyse un journaliste congolais sous couvert d’anonymat. L’Etat n’a de démocratique que le nom, mais surtout il n’y a aucune économie des médias. Pas de publicité, très peu de vente de journaux. Donc ceux qui d’habitude lancent une station de radio ou un journal, ce sont des hommes d’affaires influents ou des hommes politiques. » Treize ans après l’ouverture de ses bureaux, Radio Okapi emploie environ 200 personnes, dont une cinquantaine de correspondants locaux aux quatre coins du pays. Elle recense environ 21 millions d’auditeurs par semaine, et plus de 1,5 million de visiteurs sur son site internet. En 2014, elle a reçu le Prix pour la protection des journalistes par l’ONG Press Emblem Campaign, basée à Genève. Mais qu’adviendra-t-il de Radio Okapi lorsque la Mission de l’ONU pour le Congo (Monusco), la plus grande mission des Nations unies, quittera le pays ? La Fondation Hirondelle reçoit, déjà, beaucoup moins de subventions de ses partenaires (dont USaid, Ukaid et la Confédération suisse). « La crise économique mondiale a réduit la participation des bailleurs, regrette Cédric Kalonji. D’autre part, la Fondation Hirondelle a d’autres projets, notamment au Mali ou en Côte d’Ivoire. Il n’y a plus beaucoup de guerres en RDC… » Mais il y a toujours des conflits et des violences dans l’est du pays. Une menace constante pour la liberté de la presse.

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