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Quand reconversion rime avec passion

Ils étaient journaliste, directrice de marketing, assistante sociale, biologiste…. Et puis un jour, ils ont tout changé et sont devenus artisans d’art. Rencontre avec des passionnés fiers du fruit de leur travail.

« J’ai toujours voulu être ébéniste! lance Damien Ythier, installé à Pomy, un village du canton de Vaud. Mais mon environnement familial prônait l’accomplissement de longues et “prestigieuses” études. » Docteur en biologie moléculaire et cellulaire, il travaille une dizaine d’années dans la recherche. « Au fil des années, j’ai fini par accepter ou plutôt assumer que cet environnement n’était pas pour moi. J’ai donc arrêté d’écouter les codes que l’on m’avait inculqués et je me suis écouté ! J’avais 35 ans, c’était il y a six ans. »

Lui qui travaille le bois depuis qu’il est tout petit devient ébéniste. Il se remémore avec émotion du premier jour de sa nouvelle vie professionnelle. « Je suis arrivé dans l’atelier avec des habits de travail sur lesquels je pouvais m’essuyer les mains sans craindre de me tacher. Je me souviens de cette ambiance non aseptisée, à l’opposé des laboratoires ; du ronronnement des machines, des copeaux de bois au sol, des établis lacérés, des centaines d’outils accrochés aux murs, et surtout une incroyable odeur de bois. Je me sentais enfin à ma place ! » Est-il convaincu aujourd’hui d’avoir fait le bon choix ? Damien Ythier ne se pose pas la question. « Les choses continuent d’évoluer dans le bon sens, mais rien n’est encore gagné. Tout est loin d’être facile. Pour résumer ma pensée, je citerais Mike Horn : «Pour se mettre en marche, il suffit d’avoir 5 % de réponse à ses questions. Ceux qui veulent 100 % de réponses avant de partir restent sur place. »

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© Corentin Fohlen/ Divergence. Pantin, France. 25 aout 2020. Portrait de Cecile Queguigner, ceramiste de l'atelier Q, a Pantin.
Cécile Quéguiner, l'ancienne journaliste radio devenue céramiste. (crédit: © Corentin Fohlen/ Divergence)

Juste à côté de Paris, à Pantin, Cécile Quéguiner coule elle aussi des jours heureux dans son atelier de céramique où elle produit des pièces originales, brutes et élégantes. Cette ancienne journaliste a travaillé vingt ans à Radio-France. « Mon métier était génial, mais pas aussi créatif que je l’aurais souhaité, et surtout j’avais l’impression de ne jamais avoir vraiment de prise sur mes projets. Il pouvait se passer six mois, un an avant leur concrétisation, quand ils se concrétisaient ! J’ai voulu changer tout ça, reprendre la main. Au sens propre comme au sens figuré. »

Sa nouvelle vie professionnelle sera consacrée au travail de la matière. « La céramique s’est imposée. Peut-être l’influence de mes parents antiquaires qui m’ont fait grandir au milieu de faïences anciennes et de potiches chinoises. » Six mois de formation puis le grand saut : « passer d’un job bien installé à artisane d’art, toute seule, c’est vertigineux. On me dit souvent que c’est courageux. Je pense surtout que dans ces cas-là on se lance sans trop réfléchir, sinon on ne le fait pas. » Cécile Quéguiner devient « une femme-orchestre : apprendre un savoir-faire, choisir ses terres, comprendre son four, créer ses formes, fabriquer ses émaux, vendre ses créations, faire sa com’, sa comptabilité, emballer, expédier, trouver des marchés… Depuis trois ans, je pense céramique, je rêve céramique. C’est du 24h/24. Mais je n’ai aucun regret. »

Passer d’un job bien installé à artisane d’art, toute seule, c’est vertigineux. On me dit souvent que c’est courageux. Je pense surtout que dans ces cas-là on se lance sans trop réfléchir, sinon on ne le fait pas.

Cécile Quéguiner , Céramiste

Eux aussi en ont eu marre de la vie d’avant. « Marre du marketing, des tableaux Excel, du consulting », sourit François-Xavier Mousin. En 2016, Caroline Buechler et lui se lancent : ils seront chocolatiers ! De cette double reconversion est née à Genève Orfève, leur manufacture de cacao et chocolat. Pourquoi le chocolat ? « Parce que c’est un produit merveilleux que presque plus personne ne fabrique, à part les industriels », assurent-ils. Pas de formation, mais des heures et des heures de tests, des milliers de kilomètres pour trouver des machines, des centaines de milliers de francs investis dans des fèves, des machines et des locaux. « Et beaucoup d’argent perdu dans de mauvais choix ! Mais une progression quotidienne. »

Désormais installés à Satigny, ils se souviennent des ratés du début dans leur garage. Puis des premières ventes. Auxquelles a succédé depuis « le bonheur quotidien de recevoir des messages de félicitations du monde entier, de gens qui découvrent nos tablettes et en tombent amoureux, explique Caroline Buechler. Le bonheur de faire quelque chose de nos mains, de transformer la matière, d’être confrontés en permanence à des réalités concrètes et immédiates. »

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Diode SA / Denis Hayoun
Une plaque d'Orfève, le chocolat haut de gamme de Caroline Buechler et François-Xavier Mousin. (crédit: Diode SA / Denis Hayoun)

À Paris, Muriel Roccati utilise les mêmes mots : faire quelque chose de ses mains. Assistante sociale pendant près de vingt ans, épuisée par ce métier harassant, elle décide de tout changer à 44 ans. Direction le centre d’apprentissage. Elle sera maroquinière. Elle travaille désormais chez elle. Ses sacs, ses bijoux, ses portefeuilles et ses petites pièces de mobilier sont tous réalisés manuellement. Des créations inventives, brutes, elles aussi, du beau et costaud sur-mesure, à la demande, qui exigent « de la patience, de la minutie et d’accepter de se faire mal aux doigts. » Elle dit s’être trouvée elle-même dans le travail du cuir. « Quand j’ai su que j’allais devenir maroquinière, je me suis fait tatouer sur les doigts une phrase disant “Tout est là” en espagnol. C’est symbolique, mais c’est aussi très concret. Je conçois mes pièces avec les personnes qui me les commandent. Cet échange est riche. Et pour ce qui est de la réalisation, j’aime répéter ces gestes ancestraux. Et apprécier le fruit de mon travail. » Comme son arrière-grand-père italien qui travaillait déjà le cuir et fabriquait des souliers.