Quand la mort redéfinit le rôle de l’Etat dans les services de santé
Vivre sa mort à sa manière. C’est ce à quoi aspiraient les quelque 5000 personnes décédées avec l’aide d’un médecin depuis le début de la légalisation de l’aide à mourir au Canada en 2015. Une petite révolution sociale venue depuis bouleverser la façon de vivre ses derniers instants, mais aussi la conception même des services de santé, dans un système public.
Cette solution « douce », réclamée par les tenants d’une mort dignement vécue, faisait déjà l’objet d’un large consensus social quand la plus haute cour du pays a proclamé en février 2015 le droit d’une citoyenne canadienne d’être délivrée de « souffrances constantes et insupportables ».
Les élus du Québec d’abord, puis du Canada, ont alors rejoint le peloton des rares pays ayant légalisé l’euthanasie dans le monde.
Habilement renommée, l’« aide à mourir », délestée de l’opprobre planant autour des termes euthanasie et suicide assisté, a pris forme dans une première loi au Québec, garantissant à tous les patients confrontés à des douleurs réfractaires en phase terminale le droit à ce « soin de fin de vie ». Même si très peu de médecins acceptent encore aujourd’hui d’accompagner eux-mêmes leurs patients dans l’antichambre de la mort, la loi les oblige à recevoir les demandes et à les référer à une institution publique de santé dans les plus brefs délais.
Malgré ces obstacles, les demandes d’aide à mourir, comme ce fut le cas aux Pays-Bas et en Belgique, n’ont cessé de croître depuis la légalisation au Québec, passant de 252 en 2016 au Québec à 1236 en 2017-2018. Électrochoc social, cette fin désormais prévisible a ébranlé au passage les rituels associés à la mort, forçant certains médecins formés à « sauver des vies » à revoir leur rôle, et plusieurs familles à changer la façon d’envisager le départ de leurs proches. Non sans controverses.
Plus que de bousculer le tabou du caractère sacré de la vie, l’accès à ce soin de fin de vie a délégué au patient le choix du moment de sa mort, une prérogative qui relevait jusque-là du hasard ou du seul champ médical.
À tâtons, les familles apprennent à négocier ce changement de paradigme, qui fait de la mort sur rendez-vous un départ désormais vécu en pleine conscience. Plusieurs assimilent désormais cette mort en direct et sans douleur à un moment de célébration de la vie, plutôt qu’à un strict déchirement, douloureux et cruel.
Chose certaine, ce changement de cap n’a pas fini de secouer les certitudes. Des personnes aux prises avec des pathologies sévères, non condamnées à brève échéance, réclament maintenant de pouvoir choisir elles aussi le moment de leurs dernières heures, même si la loi les exclut. À peine adoptée, la loi est déjà contestée et, avec elle, la définition même de ce que devraient être des services de santé. Abréger une vie arrivée à son crépuscule, ou mettre fin à une existence qu’un malade estime vidée de tout sens ? Au Canada, la question reste ouverte.