Prolonger la vie des matériaux
Remettre dans le circuit des matériaux utilisés par les musées et autres institutions culturelles, valoriser leur réutilisation et sensibiliser le public… des objectifs fixés par l’Association Materiuum, novatrice en Suisse romande.
Jusqu’en 2015 à Genève, les panneaux en bois, plexiglas et autres rouleaux de papier peint ayant servi à la scénographie d’une exposition, d’une pièce de théâtre ou d’un centre d’exposition n’avaient pas d’autre vocation que de rejoindre la décharge ou l’incinérateur. Désormais, l’Association Materiuum prolonge leur durée de vie en valorisant leur réemploi. À l’origine, un collectif de cinq personnes regroupant deux architectes d’intérieur, un designer, un artiste et un spécialiste en écologie industrielle et analyse du cycle des matériaux. Chacun, dans sa profession, avait constaté que les chantiers du BTP généraient d’énormes quantités de déchets, alors que certains pouvaient tout à fait être réutilisés dans des projets d’écoconstruction. Il fallait donc agir. « Aujourd’hui, il est indispensable de prolonger le cycle de vie des matériaux si l’on veut limiter notre impact environnemental », affirme Maude Friat, architecte d’intérieur à l’origine du projet et coordinatrice. En plus du réemploi, Materiuum s’est fixé pour objectif de sensibiliser le public à cette pratique en ouvrant une ressourcerie, un espace comme « un lieu fédérateur et créateur de lien social ». « Avant de nous lancer dans l’aventure, il fallait évaluer le volume de matériaux disponible. Nous avons réalisé un audit auprès de la ville de Genève et des communes attenantes, raconte la coordinatrice. Puis, nous avons sondé des artistes, des étudiants de la HEAD, des architectes et designers pour vérifier le bien-fondé du projet. Plus de 300 réponses ont permis de constater l’intérêt de cette démarche. » Cette conception d’une chaîne de valorisation des ressources de matière première vaut à l’Association la bourse cantonale du développement durable en 2015, suivie un an après du prix G’innove du service Agenda 21. Un coup de pouce financier bienvenu pour concrétiser le projet.
L’association est en train de revoir son modèle d’affaires pour augmenter le nombre de salariés. Elle envisage même de mettre en place des formations pour professionnels dès 2019.
Inventaire à la Prévert
Pour accueillir leur bric-à-brac, un lieu est trouvé au 2, rue du Vélodrome, dans le quartier de la Jonction. Cette surface, d’une centaine de mètres carrés, permet de stocker les matériaux avant de les trier puis les classer en fonction de leur composition et dimension puis les revendre à bas prix. « Nous allons développer une section « loisirs créatifs », précise Maude, car nous disposons de chutes de tissus, de catalogues d’ameublement remplis d’échantillons, des rouleaux de ficelles et rubans… » Le circuit de la récupération est également bien rodé. « Dès que les institutions ont du matériel à jeter, ils nous avertissent. Nous nous rendons sur place pour évaluer ceux susceptibles d’être réutilisés », raconte l’architecte. En cette fin d’année 2018, l’entrepôt déborde : des boîtes, contenant de la visserie, des poulies, des accroches de rideaux et d’inattendues mains en plastique, s’empilent les unes sur les autres à côté de panneaux de bois, de socles d’exposition en MDF, de tapis de sol et autres rouleaux de moquette. Au plafond, des mannequins tenus par des baudriers, jouent les superhéros. « Chaque pièce a été photographiée, mesurée puis estimée afin de figurer sur la boutique en ligne, précise Maude Friat. C’est sur cette plateforme que la vente s’opère. Les prix, fixés selon l’état sont entre 50 et 70% moins élevés que le neuf. Cette tarification nous permet de soutenir les acteurs de la création en réduisant leur coût de production », précise-t-elle. « Ensuite, les clients viennent récupérer leur bien les mardis et jeudis, ou sur RDV. » Forte de son succès, la ressourcerie est devenue trop petite. « Pour faire face à l’offre et à la demande, nous recherchons un entrepôt de 300 à 400 m2. En attendant, le trop-plein repose à l’extérieur dans des containers. »
Rien ne se perd, tout se transforme
Parallèlement, l’association mène une action de sensibilisation auprès du public sous forme d’exposition. « En 2017, nous avons présenté « matière grise » aux étudiants de l’hepia de Genève, pour les informer sur les cycles de vie des matériaux de construction et l’intérêt de leur réutilisation, raconte Maude Friat. À l’avenir, nous souhaiterions mener le même type d’action dans les écoles primaires. » L’association composée essentielle-ment de bénévoles est en train de revoir son modèle d’affaires pour augmenter le nombre de salariés. Pour ce faire, elle envisage de mettre en place des formations pour professionnels dès 2019. Une offre ciblée « grand public » est actuellement en période test : mettre en synergie les machines professionnelles, matériaux de réemploi et les compétences à disposition (designers, architectes d’intérieur, installateurs…) pour proposer des meubles et autres installations « clés en main ». Bref, les idées ne manquent pas.