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Pourquoi Mark Zuckerberg sera élu président des États-Unis

À la fin du premier siècle avant Jésus-Christ, Auguste faisait graver la carte de l’Empire romain sur le sol du Forum à Rome. Quelques années plus tard, Strabon déclarait : « Qui possède la carte possède le pouvoir ».1 Cette affirmation est toujours valable. Simplement, la carte qui aujourd’hui donne le pouvoir n’est plus géographique mais sociale.
Qui mieux que Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, en détient les clés ?

Cette carte ressemble à celle des neurones dans nos cerveaux : des nœuds interconnectés par des myriades de relations, autant de lignes de communication à travers lesquelles circulent des informations, des émotions, des images, des paroles, des «J’aime» ou «Je déteste». Quand on représente graphiquement une telle carte, on obtient une sorte de tableau de Jackson Pollock. Cette carte n’a rien de rigide. Dès que deux personnes se rencontrent, elles ouvrent une nouvelle route. Quand quelqu’un fait parler de lui, une foule se lie à lui. Pour altérer la topographie du réseau, il suffit donc d’attirer l’attention vers un individu ou un groupe d’individus, en affichant ou non des messages plus ou moins charmeurs. Marc Zuckerberg possède la carte sociale d’une bonne partie de l’humanité : il connaît les liens qui unissent plus de 2 milliards d’entre nous ! 2 De fait, il connaît nos goûts, nos penchants, nos opinions politiques, nos rêves, nos craintes. Alors que, par le passé, les publicitaires adressaient un même message à tous, Facebook est désormais capable de nous distiller des campagnes personnalisées pour mieux nous séduire. Qui dispose d’une telle puissance peut très vite se prendre pour le digne successeur d’un empereur romain.

Une puissance à faire tourner la tête

Donald Trump est devenu le quarante-cinquième président des États-Unis le vendredi 20 janvier 2017. Quatre jours plus tôt, Mark Zuckerberg entamait un tour du pays.3 Il assistait à des rodéos, discutait avec des policiers, visitait des fermes, tout cela sous l’oeil d’un photographe professionnel commandité pour documenter ce pèlerinage dans l’Amérique profonde. Tous les observateurs ont compris que Zuckerberg entrait en politique. Kennedy a été le premier président à exploiter la puissance de la TV. On dit que Barack Obama aura été le premier à maîtriser celle des réseaux sociaux. Dans les deux cas, nous avions des candidats qui utilisaient les médias dominants de leur temps. « Zuckerberg pourrait inaugurer une époque où le patron d’un des deux plus gros médias planétaires, avec une position hégémonique, se lance dans la quête du pouvoir. Qui alors pourrait le contester ? Probablement pas les médias traditionnels. »

Quand, en octobre 2017, Facebook a changé sa mise en page dans six pays, le trafic des médias locaux a été immédiatement divisé par trois4. Il s’agissait du trafic naturel, celui généré par les liens postés par les internautes dans leurs messages. Ainsi Facebook et Google font la pluie et le beau temps dans l’espace numérique et les médias dépendent
d’eux, au point qu’ils doivent eux-mêmes acheter des publicités pour se faire entendre, exactement comme l’ensemble des autres acteurs du marché. Aujourd’hui, Facebook et Google captent près de 70 % des revenus publicitaires numériques, soit plus de 20 % des revenus publicitaires globaux.5

Facebook et Google font la pluie et le beau temps dans l’espace numérique et les médias dépendent d’eux.

Les trois mamelles de la presse

Bien sûr, il s’agit d’un écosystème où chacun a besoin de l’autre. Sans médias, Facebook et Google sont privés de contenus à proposer à leurs utilisateurs, et sans Facebook et Google les médias n’ont plus d’audience. On avait coutume de dire que la presse avait trois mamelles : la rédaction (qui fabriquait les contenus), la diffusion (qui amenait les contenus aux lecteurs) et la publicité (qui monétisait les contenus). Quand l’un des trois piliers flanchait, tout l’édifice s’écroulait, mais, comme il tenait sur trois pieds, il conservait une assise solide. La situation est désormais bien différente : Facebook et Google concentrent la diffusion et la publicité. Le passage de trois à deux mamelles fragilise les médias. Certains s’efforcent de maîtriser leur audience en se construisant un véritable trafic natif et en vendant eux-mêmes leurs publicités, mais cette tâche est de plus en plus difficile. «En donnant naissance aux géants du Net, nous autres lecteurs et auditeurs avons créé des centres de puissance qui remettent en cause le quatrième pouvoir, souvent jugé indispensable à la bonne marche de la démocratie.»

Quand les médias n’ont plus que deux mamelles, quand ils dépendent d’acteurs sur lesquels ils n’ont pratiquement aucun poids mais seulement des devoirs, ils ne peuvent plus lutter contre les fausses nouvelles, la désinformation, le mensonge. L’élection de Donald Trump a célébré les «fake news», démontrant les limites actuelles du quatrième pouvoir sans pour autant qu’un cinquième pouvoir citoyen prenne la relève. Nous nous trouvons tous entraînés par la gravité propre aux réseaux sociaux, d’autant qu’ils ont tendance à nous caresser dans le sens du poil. Nous sommes prisonniers d’une nasse dont, pas plus que des poissons, nous ne pouvons nous échapper. Zuckerberg pourrait en profiter en devenant malgré nous notre ami universel, en nous séduisant grâce à ce que ses algorithmes lui diraient de nous raconter, en faisant que sa parole soit mieux audible que celle de ses futurs adversaires politiques. Reste un fait rassurant : contrairement à une carte géographique, une carte sociale est dynamique et doit être mise à jour continuellement. Que nous nous détournions massivement de Facebook et Zuckerberg n’a plus rien pour asseoir sa puissance. À tout moment, sa carte peut s’effacer. À nous d’en décider.

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Société