L’adieu à l’or noir
Souvent décrié, le pétrole reste l’énergie la plus consommée en Suisse. Mais la raréfaction des gisements, le développement des énergies renouvelables et la chute de sa consommation liée à la pandémie le condamnent, à terme.
Quand on lui demande si la fin du pétrole sera bientôt une réalité, Michèle Cassani, porte-parole chez Romande Énergie, ne tergiverse pas : « Nous sommes dans la période d’inflexion. » Avant de préciser : « Si la ressource en pétrole est finie et les gisements abondants épuisés, le prix du baril, suivant son niveau, pousse ou freine l’exploitation de nouveaux gisements et le développement de nouveaux pétroles, comme celui de schiste. »
Un avis que nuance Hubert Girault, professeur d’électrochimie physique et analytique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. « On ne peut pas parler de fin du pétrole, mais de point de bascule et de diminution progressive. Cela se passera cette décennie. » Spécialiste médias et politique au sein du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, Fabien Lüthi estime de son côté que la solution est d’abord politique. « Avec l’Accord de Paris, tous les pays industrialisés se sont engagés à diminuer la consommation d’énergies fossiles dont le pétrole. Il existe donc l’espoir que la fin du pétrole ne se produise pas, car l’humanité réussira à en sortir avant qu’il ne s’épuise. »
Une sortie qui aura inévitablement de lourdes conséquences sur le mix énergétique en Suisse. En effet, selon les derniers chiffres fournis par l’Office fédéral de l’énergie, dans notre pays l’énergie est consommée en grande partie sous forme de combustibles pétroliers et de carburants (50,6 %), d’électricité (25 %), de gaz (13,5 %) et de bois (4,4 %). Près de la moitié du pétrole brut importé en Suisse provient du continent africain, l’autre moitié du Mexique (18 %), des États-Unis (12 %), du Kazakhstan (8 %) et d’autres pays.
Anticiper pour s’adapter
Pour se passer du pétrole, il conviendra donc d’accélérer la transition écologique. En mettant l’accent sur les énergies renouvelables évidemment, mais aussi en favorisant leur importation comme le souligne Hubert Girault. « Les énergies renouvelables indigènes ont un faible taux d’acceptation par la population. Je pense qu’il faudra en importer. » « La flexibilité de la production tant hydraulique, que solaire et éolienne ne nous permet pas de tout miser sur les énergies renouvelables produites en Suisse, ajoute Michèle Cassani. Nous pourrions en importer plus, cela aurait toutefois une incidence sur le coût de l’électricité. La diminution de la ressource pétrolière est d’ores et déjà intégrée dans les scénarios de la Confédération. Plus la diminution sera progressive, moins l’impact sur nos systèmes sera notable. Dit autrement, plus nous anticipons ce changement, plus facilement nous pourrons nous y adapter. »
Reste que cette transition est déjà en marche. Sur le plan mondial, les mesures de confinement ont fait plonger la consommation de l’or noir. Selon l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, elle sera inférieure de 9,5 % à l’an dernier. Dans le même temps, le coût des énergies renouvelables baisse également. Dans son rapport 2020, l’Agence internationale de l’énergie annonce que le solaire est désormais l’électricité la moins chère de l’histoire puisqu’il ne coûte plus que 2 centimes par kilowattheure.
Boom de l’hydrogène
Autre évolution, selon le Baromètre 2020 des consommateurs d’énergies renouvelables réalisé par la banque Raiffeisen, 67 % des Suisses estiment qu’il sera un jour possible de se passer des énergies fossiles : ils n’étaient que 47 % à le penser il y a seulement cinq ans. Un engouement confirmé par Fabien Lüthi. « Nous observons depuis quelques mois une augmentation importante de la demande pour l’installation d’énergie renouvelable. En particulier à propos du photovoltaïque. Durant la première phase de la crise sanitaire l’année dernière, une augmentation de l’assainissement de bâtiment a aussi été observée. Ce qui est positif pour leur consommation. »
Enfin, toujours sur le front des bonnes nouvelles en faveur de la transition écologique, l’hydrogène liquide connaît un fort développement. « Je travaille au développement de cette filière, explique Hubert Girault. En effet, les grands champs d’énergies renouvelables sont la mer du Nord avec l’éolien et le sud de l’Europe ainsi que l’Afrique du Nord pour le solaire. La production d’hydrogène liquide dans ces deux régions va se développer, car c’est un moyen de stocker et d’exporter ces énergies renouvelables. Les bateaux transporteurs d’hydrogène liquide commencent à être mis en service, par exemple entre l’Australie et le Japon, ou entre l’Europe et la Guyane pour alimenter les fusées Ariane. Sur terre, elle se transporte par trains et camions comme les produits pétroliers. Son utilisation se fera surtout dans le domaine de la mobilité lourde (camions et bus), mais aussi dans le résidentiel. » Le secteur automobile s’intéresse également à l’hydrogène. Ce dernier pourrait représenter jusqu’à 3 % des ventes de véhicules neufs à l’horizon 2030 et jusqu’à 35 % en 2050 selon une étude réalisée par le bureau de conseil américain McKinsey.
En attendant, une seule certitude, la diminution progressive du pétrole aura pour conséquence une hausse des besoins en électricité. Pourtant, dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050, le Conseil fédéral et le parlement envisagent une sortie progressive du nucléaire : les centrales aujourd’hui en service ne seront pas remplacées lorsqu’elles arriveront en fin de vie. Un paradoxe ? « D’une certaine manière, estime Hubert Girault. Mais les batteries des voitures électriques peuvent participer à une stratégie nationale de stockage d’énergie renouvelable si on met en place un système de gestion de ces batteries où elles peuvent en tout temps donner ou accepter de l’énergie électrique. Par exemple, un ensemble de voitures d’un quartier pourrait donner de l’énergie au réseau pour passer le pic de 20 heures et se recharger la nuit. » ■