Petites enveloppes, grandes conséquences

 La santé est la principale préoccupation des Hongrois : 70% d’entre eux s’en inquiètent, bien plus que de la corruption politique et financière (51%) et de la pauvreté (45%).

Jessica Berthereau

Gangréné par la corruption, le système public de santé en Hongrie souffre d’un manque de ressources financières et humaines. Les jeunes diplômés en médecine le fuient, optant pour l’étranger ou le secteur privé.

En décembre dernier, l’actrice australienne Ruby Rose a dû se rendre à l’hôpital alors qu’elle était en tournage en Hongrie. Choquée par son expérience, elle entreprit quelques recherches, aussitôt partagées sur son compte Instagram : « vulnérabilité et chaos dans le système de santé hongrois », « le système de santé hongrois est l’un des moins performants en Europe », pouvait-on lire sur ses captures d’écran. De fait, la santé est la principale préoccupation des Hongrois : 70% d’entre eux s’en inquiètent, bien plus que de la corruption politique et financière (51%) et de la pauvreté (45%), selon un baromètre qu’Ipsos Morris réalise tous les mois1. Des 28 pays du monde où est menée cette enquête, la Hongrie est d’ailleurs celui où la santé suscite le plus d’inquiétudes.
« Le principal problème du système public de santé hongrois est qu’il est sous-financé depuis de nombreuses années », explique Gabriella Lantos, spécialiste des questions de santé. Les dépenses publiques consacrées à la santé en Hongrie comptent ainsi parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, à 4,8% du PIB contre 7,7% en Suisse et 9,5% en France2. Résultat : les hôpitaux sont chroniquement endettés et les salaires des personnels soignants relativement bas. « Le salaire de base d’un docteur avec dix ans d’expérience n’est que de 1000 euros par mois. C’est pourquoi les médecins ont souvent plusieurs boulots et travaillent 80 à 100 heures par semaine, ce qui a obligatoirement un impact sur la qualité des soins », souligne Gabriella Lantos.

Jusqu’à 30 000 euros par mois au noir

C’est aussi pourquoi la pratique du bakchich, héritée de l’époque communiste, est toujours très répandue. « Par exemple, si vous cherchez sur Google le nom d’un gynécologue pour un accouchement, vous trouverez son ‘tarif’ à lui remettre dans une enveloppe », témoigne Dalma, une Hongroise trentenaire. Cette pratique a de nombreux effets pervers, dont celui de constituer des « baronnies » au sein des hôpitaux publics, selon l’expression utilisée par Gabriella Lantos. « Certains de ces ‘docteurs barons’ gagnent jusqu’à 30 000 euros par mois au noir », s’indigne-t-elle. « Certains médecins en chef gèrent leurs services hospitaliers comme leur propre domaine, organisant le fonctionnement de l’unité en faveur de patients privilégiés qui leur sont proches par connaissance ou par corruption », confirme Zsombor Kovacsy, avocat spécialisé dans les questions de santé.
C’est notamment pour fuir cette corruption, les bas salaires et les mauvaises conditions de travail que de nombreux jeunes médecins et infirmiers ont quitté le pays depuis une dizaine d’années. Tamas est l’un d’eux. Il est parti en 2008 pour l’Allemagne, juste après la fin de ses études. « Les salaires étaient très bas, j’aurais pu gagner l’équivalent de 400 à 500 euros par mois, ce qui ne m’aurait pas permis de vivre correctement », explique-t-il. En Allemagne, il a pu finir sa spécialisation en chirurgie et gagne bien sa vie. Mais il envisage maintenant de rentrer en Hongrie, voyant que les conditions salariales pourraient s’améliorer : fin 2018, le gouvernement a annoncé une hausse de 72% des salaires du personnel de santé, en quatre étapes d’ici à 2022.

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Les dépenses publiques consacrées à la santé en Hongrie comptent parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, à 4,8% du PIB.

Développement du secteur privé

Voilà qui pourrait aussi inciter les jeunes diplômés à rester. Récemment, le nombre de ceux partant travailler à l’étranger a déjà commencé à diminuer, mais surtout parce qu’ils ont désormais tendance à se tourner vers le secteur privé. « La classe moyenne hongroise fait de plus en plus appel à des spécialistes privés, ce qui représente une demande suffisante pour maintenir un nombre croissant de jeunes médecins dans le pays », explique ainsi Zsombor Kovacsy. Ce dernier s’inquiète d’un écart grandissant entre des soins de santé de qualité accessibles seulement aux plus riches et d’autres de moindre qualité pour le reste de la population. « Les politiques de santé devraient veiller à l’amélioration du système public afin d’éviter cette division », préconise-t-il. De son côté, Gabriella Lantos juge qu’il faudrait entièrement refonder la structure du système et son financement. Et, conclut-elle, « donner ou recevoir des bakchichs devrait être sévèrement sanctionné ».

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