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En trente ans, Pékin a perdu son âme

Le bilan est lourd. Plus de la moitié des quartiers anciens de Pékin ont été démolis. Depuis les années 1990, la ville n’a cessé de détruire le vieux pour ériger du neuf.

Une démarche certes en accord avec la culture chinoise qui prône la transformation et le renouvellement incessant des choses de la vie, mais dommageable au regard de son histoire vieille de 3’000 ans. Si notre vision occidentale est plus attachée aux choses matérielles que ne l’est la pensée asiatique, il faut quand même constater que la capitale chinoise n’avait pas subi autant de destructions qu’au tournant des années 2000 (en 2002 et 2003, 460 ha de quartiers anciens ont été détruits). Pratiquement tous les « hutongs », ces vieux quartiers striés de ruelles labyrinthiques et de cours carrées au charme tradition-nel, ont été rasés, et ce malgré des mesures de protection. Bulldozers et pression immobilière ont été les plus forts. Ils étaient pourtant les témoins de plus de sept cents ans d’histoire. Avec eux, partent des habitants peu aisés établis depuis des générations, expulsés en quelques jours sans possibilité de faire opposition, relégués en périphérie de la ville (on estime que 1,5 million d’habitants ont été expropriés entre 2000 et 2008). Ce phénomène s’est intensifié avant les JO de Pékin, le pouvoir pékinois souhaitant ériger les hautes tours du Central Business District, plus représentatives de la nouvelle puissance économique chinoise aux yeux du monde. Et ces destructions massives, pensées comme des campagnes d’aménagement urbain, n’ont prévu aucune solution durable pour les habitants.

Les édifices anciens ont été détruits malgré un plan de protection. 

Il faut dire que la ville doit abriter ses 21 millions d’habitants ! Mais le neuf loge à peine plus de personnes que l’ancien. Par contre, il permet l’enrichissement des spéculateurs fonciers. Ainsi, Pékin a petit à petit, entre 1990 et 2005, perdu son patrimoine historique et, avec lui, son âme. Seuls les remarquables édifices inscrits à l’UNESCO subsistent, étendards pour touristes de la culture chinoise, certes magnifiques mais dépourvus du lien qu’ils pouvaient entretenir avec un tissu urbain traditionnel. Dans un quartier comme celui de Quianmen, emblématique de l’ancien Pékin, où se trouvaient des commerces et un marché d’antiquités, les édifices anciens ont été détruits malgré un plan de protection qui avait promis de les préserver. Les autorités chinoises, sous prétexte que l’insalubrité et la pauvreté étaient trop grandes (ce qui était vrai pour plusieurs quartiers qui auraient pu bénéficier d’une réhabilitation respectueuse de l’architecture et des habitants), ont fini par lancer un programme de rénovation – il s’agit en fait de la construction d’un pastiche de l’ancien, capable d’accueillir de grandes enseignes commerciales et des restaurants pour attirer les touristes. Ce simulacre du passé crée un centre-ville hétérogène dépourvu de cohérence et d’authenticité. Cette nouvelle morphologie, acquise avec brutalité, a déplacé des milliers de personnes et contribué à renforcer la fracture sociale. Aujourd’hui, de rares quartiers authentiques subsistent, mais pour combien de temps ?

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