Le bien par les bêtes

Comment un chien, un écureuil, une mésange peuvent-ils soulager notre surcharge mentale ? Grâce à la zoothérapie dont Laurence Paoli, spécialiste dans la conservation de la biodiversité animale, a fait son cheval de bataille.

C’est le grand pédopsychiatre Marcel Rufo qui le raconte dans son dernier livre, Autoportrait en thérapies (Éd. Anne Carrière), Chino, son chien, se trouvait par hasard dans son cabinet le jour même où un adolescent silencieux était revenu le consulter. Mutique depuis plusieurs séances, le jeune homme s’est alors approché de l’animal pour lui parler et finalement tout déballer au professeur, stupéfait devant sa si soudaine évolution. Une forme de « médiation animale », pratique qui se définit exactement ainsi : « C’est la mise en contact d’un animal avec un être en état de souffrance afin de soulager l’humain. » Une vertu qu’on retrouve certes en milieu hospitalier, mais aussi dans la vie de tous les jours. Ce qu’a voulu montrer Laurence Paoli dans son livre Quand les animaux nous font du bien (Éd. Buchet-Chastel). Très impliquée dans le milieu animalier depuis toujours – elle a longtemps dirigé le service de communication des parcs zoologiques du Muséum d’histoire naturelle de Paris – l’auteure a voulu balayer le spectre ultralarge des bienfaits apportés à l’humain par les animaux.

Les animaux que vous évoquez dans le titre de votre ouvrage, qui sont-ils ?

L’animal compagnon, bien sûr, mais aussi l’animal sauvage qu’on croise par hasard et avec lequel on va établir une relation de complicité ou d’observation. L’animal qui nous fait du bien, c’est l’écureuil dans l’arbre du jardin, la mésange qu’on observe ou le chien qui vit avec nous. Le lien peut être furtif aussi bien que pérenne.

Vous évoquez de nombreux exemples de médiation animale lors de consultations psy. Est-ce si efficace que ça ?

Les thérapeutes en parleraient dix fois mieux que moi, mais en discutant avec eux, on se rend compte que le chien ou l’animal présent dans leur cabinet sert d’intermédiaire. Il permet d’établir un lien, mais aussi des projections : la personne va faire dire à l’animal des choses qu’elle n’arrive pas à prononcer elle-même. Du genre « le chien n’aime pas être là », « il a peur quand on crie ». L’exemple le plus marquant, c’est celui de cet enfant abusé qui n’arrivait pas à s’exprimer auprès des enquêteurs, et qui s’est mis à parler du chien pour en fait parler de lui-même et tout révéler de ses souffrances.

Vous citez aussi foule de cas cliniques graves, schizophrènes ou autres, qui connaissent une grande amélioration avec une ou deux séances par semaine. Existe-t-il cependant un vrai risque de dépendance ou de manque pour le patient, une fois l’animal parti ?

C’est justement pour cette raison qu’il faut une formation pour faire de la médiation animale. Pour éviter que l’animal soit finalement surinvesti. Car un patient pourra lui attribuer des propriétés magiques, dire que c’est grâce à lui qu’il réussit des choses, et que ce n’est plus possible s’il n’est pas là. On doit arriver à leur faire comprendre que s’ils ont trouvé un réconfort énorme grâce à l’animal, ils peuvent aussi l’acquérir autrement. Qu’ils ont cette solution en eux, que l’animal n’a été qu’un catalyseur. D’où l’importance de la formation quand on est face à des situations de grande souffrance.

Parmi les bienfaits, vous évoquez la réassurance, le rééquilibrage, le vide affectif comblé. On s’éloigne du médical pur, mais il ne faut surtout pas négliger le simple « bien-être » de la personne.

L’animal rééquilibre, oui, mais j’insiste, toujours dans cette mesure-là : s’il est un facteur de ce rééquilibre, il doit garder sa place d’animal. Il ne doit pas devenir une canne, un médicament, ou remplacer une personne absente. Dans l’idéal, il doit donner suffisamment d’ancrage dans le réel pour qu’on puisse ensuite y arriver seul.

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(Martine Doucet / Gettyimages)
Une jeune fille autiste se réconforte en nouant le contact avec des chevaux abandonnés.

Vous connaissez ce milieu depuis longtemps, mais avez-vous malgré tout été surprise de ce que vous avez pu découvrir au fil de vos recherches ?

Je travaille dans le milieu animalier depuis toujours, mais plus dans les parcs zoologiques, la recherche ou la communication. Je connaissais le calme et la sérénité que peuvent apporter les animaux. Mais la médiation animale, fut une vraie découverte, que ce soit en prison, dans les maisons de retraite ou pour les enfants avec des TSA (trouble du spectre de l’autisme). Je ne pensais pas qu’autant d’études avaient été faites, qu’autant de structures existaient, qu’autant de gens étaient impliqués. Il y a un mouvement énorme pour arriver à cette vraie reconnaissance.

La médiation animale, ou zoothérapie comme on peut le lire parfois, est considérée comme un vrai métier en Suisse. Pas forcément en France, où elle tient souvent sur de simples initiatives individuelles.

C’est un énorme frein, oui. Je cite beaucoup d’exemples pour illustrer cette situation, et j’aurais pu en citer plus encore. Il n’y a ni loi ni décret en France, où elle n’est pas remboursée, donc tout repose sur l’initiative individuelle. Un directeur d’Ehpad qui adore les chiens et qui est convaincu de leurs bienfaits va tout faire pour que ça fonctionne, même avec des queues de budget, des bénévoles et l’appui d’associations. Mais s’il est un jour remplacé par une personne qui a la phobie des chiens parce qu’elle a été mordue à l’âge de 12 ans, ça ne marchera plus. Et c’est comme ça tout le temps.

 

 L'animal ne doit pas devenir une canne, un médicament, ou remplacer une personne absente. 

Laurence Paoli

Il y a encore beaucoup de médecins dans le mépris ou l’ignorance de la pratique, selon vous ?

Beaucoup trop, oui. Le mépris, c’est une véritable erreur, le signe d’un manque d’ouverture d’esprit. Je peux en revanche mieux comprendre l’indifférence. J’ai beaucoup parlé avec un responsable de service de pédiatrie oncologique au Québec, et il est évident que la présence d’un chien ne va pas à elle seule sauver un enfant. Le problème ici consisterait à ne pas prendre en compte les ressources vitales psychologiques de l’enfant, celles-là mêmes qu’il faut stimuler au maximum. Une présence animale peut le mettre dans un état de bien-être, de joie et de projection qui peut lui donner la force d’absorber son traitement de façon plus positive. Pour que, peut-être, et je dis bien peut-être, le traitement soit plus efficace ensuite. La présence d’un chien peut paraître anecdotique. Je ne veux pas la mettre au même niveau que le traitement, mais il vient en plus. J’ai été moi-même gravement malade, les médecins étaient penchés sur mon pronostic vital, mais ils en oubliaient tous les à-côtés : les carences, l’épuisement psychologique, la peur, la fatigue extrême… Je me battais moins bien. Dans ces cas-là, tout est bon à prendre en termes de joie et d’élan vital. Et quand un être vivant peut vous apporter ça, il ne faut pas passer à côté.

 

Il faudra multiplier les études scientifiques, encore et encore, pour convaincre ?

Pas pour convaincre, mais pour faire passer des lois. Nos politiques et décisionnaires sont contraints de se fonder sur des preuves objectives pour légiférer. On va donc avoir besoin d’en apporter des supplémentaires pour que ça devienne incontournable.

Votre ouvrage mentionne des liens étroits entre l’homme et l’animal établis dans un passé lointain. Ce fut une découverte pour vous, ça aussi ?

Je n’avais pas une grande culture dans ce domaine, j’ai eu besoin de faire des recherches. Du genre, depuis quand peut-on dater nos relations émotionnelles avec les animaux ? Et mes intuitions se sont confirmées, car les publications scientifiques sont effectivement très riches. Des paléontologues ont pu prouver que des chiens avaient été enterrés près de cadavres humains il y a 14’200 ans, ou qu’une jument avait été retrouvée dans un tombeau datant de 3000 ans. Elle avait été ensevelie avec les mêmes égards découverts dans des tombes humaines. ■