Mary Shelley, la mère de Frankenstein

C’est après une nuit au bord du Léman que l’écrivaine britannique alors âgée de 19 ans imagine l’histoire fantastique d’un savant fou ramenant un mort à la vie.

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Portrait de Mary Shelley par Richard Rothwell (1840).

Frankenstein est genevois. Une statue en bronze du collectif d’artistes KLAT le montrant déambulant sur la plaine de Plainpalais atteste que la créature est en effet née là. Ou plutôt à quelques kilomètres, dans la villa Diodati, à Cologny, par une sombre nuit pluvieuse de l’été 1816.

Du monstre, on connaît le père, Victor Frankenstein, savant lui aussi genevois, dont il porte le nom. Et la mère ? Dans l’histoire, il n’en a pas. Il est le fruit d’un assemblage de morceaux de cadavres que le savant fou a réussi à animer par chocs électriques. Dans la réalité, c’est l’imagination de Mary Shelley qui l’a créé sur les rives du Léman. Elle est anglaise et n’a que 19 ans. Plus tard, elle décrira ce fameux été en Suisse comme le moment « où je sortis de l’enfance pour entrer dans la vie ».

Amours agitées

Fille de la philosophe féministe Mary Wollstonecraft et du romancier et théoricien politique William Godwin, Mary Shelley perd sa mère onze jours après sa naissance. Son père se remarie et fonde une maison d’édition qui périclite. Malheureux en affaires, il s’occupe de l’éducation de ses enfants en les ouvrant à toutes les connaissances et en les invitant à fréquenter parmi les plus grands intellectuels de leur temps. C’est dans cet environnement éminemment lettré que Mary rencontre le poète Percy Bysshe Shelley. Une histoire d’amour romantique, donc forcément agitée, s’engage. La femme du premier et le père de la seconde, farouchement opposés à cette relation, compliquent l’affaire.

Les amants s’enfuient. Ils s’unissent malgré tout, le 30 décembre 1816, vingt jours après le suicide supposé de l’épouse de l’écrivain. Avant cela, en mai de la même année, Mary, Percy, leur fils William et Claire Clairmont, la demi-sœur de Mary, décident de passer l’été à Genève. Lord Byron, dont Claire est enceinte, les rejoint quelques jours plus tard. Le poète est accompagné par John William Polidori, jeune médecin et futur auteur de la nouvelle Le Vampire, en 1818, qui popularisera le thème des succubes buveurs de sang dans la littérature, quatre-vingts ans avant Dracula de Bram Stoker.

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Boris Karloff dans le rôle de Frankenstein (1931).

Histoires de fantômes

À la villa Diodati, le séjour se déroule sous une pluie incessante. Entre deux sorties en barque sur le lac quand le temps le permet, la compagnie reste confinée à l’intérieur. Cette bonne société très éclairée lit et discute beaucoup pour tromper l’ennui. Elle débat notamment des travaux d’Erasmus Darwin, le grand-père de Charles, qui amorce déjà des réflexions sur l’origine de la vie et l’évolution des espèces. Le médecin et botaniste passionné de fossiles y expose sa vision de l’être vivant constitué à partir des matières mortes de ses propres ancêtres. On parle aussi de galvanisme, cet effet découvert par le physicien italien Luigi Galvani lorsqu’il contracta les muscles d’une grenouille disséquée avec de l’électricité.

Le soir, on joue à se faire peur en lisant les Fantasmagoriana, ces histoires allemandes de fantômes traduites en français. Mais aussi Vathek, ce roman gothique de William Beckford que les Romantiques admirent. Publié à Lausanne en 1786, l’ouvrage raconte l’histoire d’un calife et de sa courtisane se lançant dans des activités licencieuses destinées à leur faire acquérir des pouvoirs surnaturels.

Le 16 juin vient à Byron l’idée d’un concours : que chacun écrive son histoire fantastique. Les fumées de l’opium aident à ouvrir les esprits. Byron esquisse un récit. Polidori le reprendra plus tard pour en faire la trame de son livre. Shelley griffonne une historiette qu’il juge sans intérêt. Le texte le plus abouti est écrit par Mary dans ce style « romantique noir » dont l’époque raffole. Elle raconte avoir vu la créature de Frankenstein dans une sorte de rêve éveillé. Percy l’encourage à améliorer ce petit conte. Ce qui ne devait être qu’une nouvelle deviendra un roman. Imprimé en 1818 à Londres sous le titre Frankenstein ou le Prométhée moderne, le livre est publié anonymement. La critique fait de Percy Shelley, qui en signe la préface et qu’il dédicace à William Godwin dont il partage les idées politiques, son auteur. Peu satisfaite, Mary Shelley remanie son texte et le republie en 1823, cette fois sous son nom. Elle le retouche une troisième fois en 1831. Cette nouvelle édition s’accompagne d’une préface dans laquelle l’écrivaine raconte la genèse genevoise de cette histoire.

Pionnière de la science-fiction

Avec le temps, la critique fera de l’Anglaise la pionnière de la littérature de science-fiction. On a souvent expliqué Frankenstein, cette histoire d’un homme ramenant un mort à la vie, à travers le prisme biographique de son auteure. Lorsqu’elle arrive à Genève en mai 1816, Mary Shelley vient en effet de perdre son deuxième enfant âgé de 7 mois. Ce qui est certain, c’est que son existence tout entière est émaillée par la tragédie. Sa fille Clara meurt à Venise en 1818, son fils William est emporté par la malaria à Rome l’année suivante et Percy Shelley se noie au large de Viareggio en Toscane en 1822. À sa mort à Londres en 1851, Mary Shelley est certes considérée comme une écrivaine (elle a publié six romans, plusieurs récits de voyage, des poèmes et un livre pour enfants), mais elle restera encore très longtemps l’auteure d’une seule œuvre : Frankenstein, l’homme artificiel.