Londres : le Garden Bridge enterré
Fin avril, Sadiq Khan a annoncé que la mairie de Londres n’apporterait pas son soutien financier au projet de jardin suspendu sur la Tamise : le Garden Bridge constituait un risque trop important pour les finances de la Ville.
Une folie en ces temps d’austérité
Avant même que la première pierre du Garden Bridge ne soit posée, près de 40 millions de livres sterling de deniers publics avaient déjà été engloutis. Pour que l’infrastructure de 366 mètres de long sorte de terre, il aurait fallu que la mairie accorde une rallonge d’une dizaine de millions de livres. C’est ce qu’a établi la députée travailliste Margaret
Hodge dans un rapport commandité par Sadiq Khan et publié au printemps dernier. De quoi alarmer les autorités du Grand Londres, touchées par l’austérité budgétaire imposée par les conservateurs au pouvoir depuis 2010.
La ville compte déjà 3 000 parcs et autant d’arbres que d’habitants, soit plus de 8 millions.
Au départ, pourtant, le Garden Bridge devait être entièrement financé sur fonds privés. Or, les investisseurs ne se sont pas montrés aussi intéressés qu’anticipé. En parallèle, le coût de cette nouvelle attraction touristique a explosé. Estimé à 60 millions de livres en 2013, le budget risquait d’atteindre au final les 200 millions de livres, selon Margaret Hodge. « Depuis le début, (…) peu d’attention a été prêtée à la rentabilité du projet », a estimé la députée travailliste à qui est revenue la charge d’évaluer la viabilité du Garden Bridge. La raison de cette négligence est peut-être à chercher du côté de l’inspiratrice de ce pont vert entre les deux rives de la Tamise, et de la genèse du projet. C’est l’actrice britannique Joanna Lumley, connue pour avoir incarné Patsy Stone dans la série télé Absolutely Fabulous, qui a soufflé à Boris Johnson, qu’elle connaît « depuis qu’il a 4 ans », l’idée de faire « ce cadeau aux Londoniens ». Dans une lettre envoyée à Johnson en mai 2012, la comédienne félicite le maire pour sa réélection et lui fait part de son projet de pont vert – un projet qu’elle porte avec Thomas Heatherwick, un designer et
ami avec qui elle a travaillé.
270 arbres et une multitude de questions
Trois mois plus tard, l’idée reçoit l’aval de Transport for London (TFL), l’organisme public chargé de la gestion du réseau de transports londoniens. Au terme d’un appel d’offres controversé, Thomas Heatherwick est retenu pour concevoir le fameux pont. Au fil des mois, la polémique enfle. Les ONG environnementales s’opposent à l’édification de ce « jouet clinquant » qui doit être adorné de seulement 270 arbres. L’accès du public auGarden Bridge soulève par ailleurs une multitude d’interrogations. Celui-ci est censé être libre et gratuit, mais ses promoteurs envisagent de privatiser une partie de l’édifice à intervalles réguliers pour générer des revenus. Pour toutes ces raisons, le Thames Garden Bridge semble bel et bien enterré. Quand bien même ce pont vert serait édifié, le paysage de la capitale du Royaume-Uni ne serait pas transformé. La ville compte déjà 3 000 parcs et autant d’arbres que d’habitants, soit plus de 8 millions. Pour Daniel Raven-Ellison, la priorité est de préserver cette myriade de poumons verts et de mettre la nature au centre de la vie quotidienne des Londoniens. Depuis 2013, ce géographe fait campagne pour que Londres acquière le statut de parc national. Le symbole aurait son importance : pour l’instant, ce label n’a été attribué à aucun espace urbain au Royaume-Uni. Daniel Raven-Ellison a déjà recueilli le soutien du maire et celui d’un tiers des quartiers de Londres. L’objectif de ce « géographe guérrillero » à terme : faire basculer la métropole dans une nouvelle ère en faisant grimper de 47 % à 51 % la part des espaces verts dans la ville. Le coût annuel de l’opération est estimé à 4 millions de livres sterling. Autrement dit, une fraction du coût de l’édification du Thames Garden Bridge. ■
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