Le sable, une mine d’or

Les grains de sable disparaissent peu à peu des plages pour s’immiscer dans des objets du quotidien et surtout dans nos constructions. Cette fringale planétaire a de graves conséquences écologiques, économiques, mais aussi géopolitiques.

Le sable… une surface composée d’une infinité de petits grains de silice que l’on foule le temps d’un été, avant de les retrouver au fond des souliers ! Plus discret, il entre aussi dans la composition des mobiles, cartes de crédit, microprocesseurs, cosmétiques ou lessives… des poussières comparés à la consommation qu’en fait l’industrie de la construction. Il faut en effet 2/3 de sable pour préparer du béton armé soit environ 200 t pour construire un petit pavillon et jusqu’à 30 000 t pour 1 km d’autoroute ! Le boom immobilier de ces dernières années n’a fait qu’augmenter les demandes et a permis de faire du sable l’une des ressources les plus utilisées après l’air et l’eau. Mais cette matière considérée comme « gratuite » n’est pas renouvelable. Les réserves se raréfient ce qui, dans ce contexte particulier, entraîne une flambée des prix. Alors pour livrer chaque année les 15 milliards de tonnes utilisées dans le monde, il faut désormais avoir recours à des réseaux bien souvent illicites.
Dans son documentaire Le sable : enquête sur une disparition, Denis Delestrac a remonté les filières de cette matière première, devenue aussi précieuse et rare que le pétrole. Le journaliste a rencontré les acteurs de ce marché et évoque les conséquences écologiques. Son constat est alarmant : « L’idée du film est arrivée par hasard, raconte-t-il, suite à une balade à la plage. J’ai vu que celle où j’avais l’habitude de me rendre était réduite, comme coupée en deux à la hache. En allant sur internet et en tapant des mots clés comme « sable » et « érosion », d’autres ont commencé à apparaître comme Mafia ou trafic de sable… J’ai voulu aller voir plus loin. » L’enquête l’a mené sur la plupart des continents pour mieux saisir l’ampleur du phénomène, mais également pour rencontrer des scientifiques, des représentants d’ONG et des industriels peu regardants sur l’origine de cette matière première.

Après avoir vidé les rivières et les carrières, ce sont désormais dans les fonds marins que les trafiquants puisent le précieux butin. Ainsi, dans l’archipel malais, au Cambodge ou au Vietnam, des îles entières sont draguées avant d’être acheminées vers Singapour pour la construction de nouveaux gratte-ciel. Trop densément peuplé, le pays est contraint d’agrandir son territoire en gagnant des terres sur la mer. Grâce à cette poldérisation, sa superficie a augmenté de 20% en vingt ans ; mais ce gain de plus de 100 km2, soit presque la moitié du canton de Genève, s’est fait au prix de gigantesques quantités de sable ! Munis d’élingues, sorte d’aspirateur surpuissant, les navires raclent les fonds marins, bouleversant tout un écosystème, de façon souvent irréversible. La destruction des massifs coralliens et du plancton menace la survie des plantes et des animaux marins et perturbe, quand il ne détruit pas, toute l’économie locale !

Les autochtones, qui ne vivaient que de la pêche, n’ont plus d’autre choix que de grossir les rangs des habitants des bidonvilles ou… de travailler dans une totale illégalité pour ces marchands de sable. L’érosion du littoral est visible sur de nombreuses côtes et provoque une montée des eaux. Sur les terres qui restent, la folie de l’urbanisme sévit comme au Maroc, en Espagne, ou dans le golfe Persique… Des projets pharaoniques, comme « The World » ou « Palm Islands » à Dubaï, ont permis de recréer le planisphère terrestre avec des archipels artificiels réalisés avec du sable ! Ironie du sort, ce pays pourtant entouré de désert doit importer sa matière première d’Australie. Celui des déserts, érodé par les vents, s’avère inadapté pour la construction.

Entre 75 et 90% des plages de la planète sont menacées de disparition

En Indonésie, l’impact du trafic est désormais visible sur les cartes. Tout un chapelet de terres, constitué de plus d’une vingtaine d’îles, a disparu en quelques années. Au-delà des conséquences écologiques et économiques, ce sont aussi des questions géopolitiques qui se retrouvent posées avec ces frontières internationales fluctuantes. Et d’autres bandes de terre vont encore disparaître dans les prochaines années si ces extractions illicites ne cessent pas. Des solutions semblent pourtant exister. « En utilisant d’autres matériaux de construction comme la paille ou en taxant les ressources naturelles comme le sable afin de subventionner le recyclage d’autres matériaux. En faisant sauter les barrages qui ne sont plus en activité, mais qui bloquent du sable des rivières qui pourrait retourner vers les plages. ». L’ignorance et le peu d’intérêt que les politiques portent à ce problème écologique, qui ne se trouve pas en haut de leurs priorités, représentent également des obstacles. En attendant, les plages reculent et la tendance s’accélère. Les spécialistes l’affirment : « Entre 75 et 90% des plages de la planète sont menacées de disparition. Si on ne fait rien d’ici à 2100, les plages du monde entier ne seront plus que des mirages. »

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