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Le paysage médiatique américain en plein bouleversement

Les géants de la télécommunication s’offrent des producteurs de contenus pour contrer l’émergence de nouveaux acteurs comme Netflix. Et pour ne pas rater le train de la numérisation et de la personnalisation de l’information.

Après la fusion entre Comcast, premier câblo-opérateur américain, et NBC Universal au début de la décennie, un autre mariage historique se prépare : celui du géant de la téléphonie AT&T et du groupe de médias Time Warner ( pour 85 milliards de dollars ). Annoncée en 2016, cette opération ferait d’AT&T un conglomérat à même de dominer plusieurs secteurs des médias et de l’Internet. Les noces sont toutefois loin d’être célébrées puisque le ministère de la Justice américain, en novembre dernier, a décidé d’attaquer cette fusion en justice. Le feuilleton illustre parfaitement une tendance économique aux États-Unis : une concentration de plus en plus forte dans le secteur des médias, principalement sous forme d’intégration verticale entre le secteur des médias et celui des télécommunications. Entre les contenants et les contenus. Une tendance qui n’est pas sans poser des problèmes de concurrence. Après le feu vert de la Federal Communications Commission (la FCC, l’autorité de la concurrence) à la fusion entre Comcast et NBC Universal, le seul opposant au sein de cette instance résumait ainsi le problème : «C’est simplement trop, trop gros, trop de pouvoir, et dépourvu d’avantages pour les consommateurs et citoyens américains.»

Des câblo-opérateurs qui détiennent des contenus, c’est par exemple le risque de voir l’opérateur facturer plus cher lesdits contenus auprès des autres concurrents. Pour expliquer la course effrénée des opérateurs de téléphonie et d’Internet au rachat de producteurs de contenus, il y a le déclin de la télévision payante. Plus de 22 millions d’Américains auront délaissé leur abonnement au câble en 2017. Une des raisons de cette désaffection – outre les prix atrocement élevés des bouquets – est l’offre de Netflix, Amazon ou Google. De nouvelles plateformes de streaming ont également vu le jour, notamment dans le secteur de l’information sportive. Ces redoutables nouveaux concurrents poussent donc les câblo-opérateurs à diversifier leur offre de contenu sur Internet et sur mobiles en rachetant des producteurs de contenus comme NBC Universal (Universal Studios, DreamWorks, etc.) et Time Warner (HBO, Warner Bros. etc.).

 

C’est simplement trop, trop gros, trop de pouvoir, et dépourvu d’avantages pour les consommateurs et citoyens américains.

Vers une personnalisation à l’extrême des contenus

Derrière cette tendance, on décèle de nouvelles manières de consommer les médias. Si un Américain sur deux affirme se tourner « souvent » vers la télévision pour s’informer, c’est un chiffre en nette baisse : moins 7 points entre 2016 et 2017, selon le Pew Center.

À l’inverse, ils sont de plus en plus nombreux (43 %) à utiliser Internet pour s’informer. Dans le même temps, 67 % des Américains rapportent se servir « parfois » ou « souvent » des réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Snapchat, LinkedIn, etc.) pour avoir accès à l’information.

Or, Internet, et plus encore les réseaux sociaux, offrent à leurs utilisateurs une forme de consommation de l’information beaucoup plus personnalisée, qui est fonction de leurs usages de la plateforme sociale – de leurs « like », et relations. Les algorithmes décident aujourd’hui de ce qu’on lit, voit et entend. « Nous nous informons désormais en temps réel, ‹ à la demande ›, selon nos intérêts, via de multiples plateformes, sans savoir vraiment à quel point tout ceci est personnalisé, écrit la journaliste et spécialiste des médias Adrienne Lafrance. Ce sont les entreprises technologiques comme Google et Facebook qui ont conduit à cela. Mais les médias, de plus en plus, font le pari qu’offrir des contenus personnalisés peut faire croître l’audience de leurs sites. »

Déjà, il est possible de recevoir des alertes des grands médias sur son téléphone portable, en fonction de « thèmes » choisis – informations économiques ou liées à une zone géographique. «Vous avez aimé cela, vous aimerez ceci», peut-on lire à la fin d’un article sur les sites des grands quotidiens américains – résultat d’une analyse de mots-clés contenus dans l’article précédemment lu. Enfin, outre les newsletters spécialisées proposées par les grands médias américains, de nouvelles expériences sont tentées. Ainsi l’an dernier, le New York Times a commencé à tester une plus grande personnalisation de son contenu en ligne, selon des facteurs géographiques, d’intérêt et de fréquence de visites du site. «Nous devons nous adresser à notre lectorat en tête-à-tête», écrivait le journal pour justifier cette approche. Au risque, en convenait le New York Times, d’enfermer les consommateurs d’information dans une «bulle filtrante».

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