Le droit fondamental d’avoir accès à un logement

Genève est la première ville suisse signataire de la campagne « The shift » initiée par la rapporteuse spéciale des Nations Unies pour le droit au logement convenable, Leilani Farha. Par cette signature, Genève s’engage à garantir l’accès de tous et de toutes à un logement convenable, sûr et abordable. Principe inscrit dans sa Constitution mais aussi au programme de l’Agenda 2030 pour le développement durable.

Loyers indécents, spéculation immobilière outrancière, gentrification des quartiers populaires, le film Push (Rough Cut) de Fredrik Gertten présenté au FIFDH (Festival du Film et Forum international sur les droits humains, le 9 mars, lors du panel intitulé « faire du droit au logement décent une réalité », rend compte d’une situation mondiale peu élogieuse. Genève, comme bien des grandes villes à travers le monde, n’est pas épargnée. Caroline Abu Sa’Da, responsable éditoriale du FIFDH et fondatrice et directrice générale de l’association SOS Méditerranée Suisse, créée en 2017, s’est félicitée du grand succès qu’a rencontrer cette soirée singulière et à laquelle elle tenait particulièrement. Interview.

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Caroline Abu Sa’Da, responsable éditoriale du FIFDH et fondatrice et directrice générale de l’association SOS Méditerranée Suisse.

Le panel « faire du droit au logement décent une réalité » illustré par le film de Fredrik Gertten projeté à l’espace Pitoëff samedi 9 mars a une importance toute particulière pour vous, pourquoi ?

Parce que je pense que c’est un sujet qui est vraiment mésestimé. Il y a eu des réactions du type « quel est le rapport avec les droits humains ? ». Mais en fait, il s’agit bien d’un droit humain fondamental que d’avoir accès à un logement convenable, salubre et abordable. C’était aussi le moyen d’aborder à Genève même, une réalité très locale, qui connait des loyers excessifs et une pénurie de logement, notamment sociaux, assez drastique. Et puis, enfin, c’était mettre en avant le travail remarquable pour le droit au logement convenable de Leilani Farha, qui a initié la campagne « the shift », manifeste pour le droit au logement qui a été signé par Monsieur Sami Kanaan ce samedi 9 mars avant la projection du film.

« The shift » évoque le changement. Concrètement qu’induit ce manifeste ?

L’idée est de transformer le logement d’un bien matériel soumis à spéculation, financiarisable et monnayable comme une marchandise, en un bien humain abordable et convenable. Il rassemble différents signataires qui reconnaissent le droit au logement en tant que droit humain et désire les aider à mettre en œuvre les moyens nécessaires. Dans Push, on suit la rapporteuse de l’ONU investiguant et tentant de comprendre comment le logement est devenu un enjeu de spéculation et comment on se retrouve avec des fonds qui rachètent des bâtiments entiers évinçant ainsi des familles qui auraient pu en bénéficier. A travers ce film novateur, le réalisateur arrive à rendre très intéressant un sujet qui à priori ne l’est pas forcément. Très touchant. Une prouesse.

Il faut mettre des éléments normatifs pour pouvoir permettre un accès beaucoup plus large aux logements.

 

Au regard de la réussite du programme « logement d‘abord » lancé en 2008 par le gouvernement finlandais pour loger les sans-abris, pourquoi n’y a-t-il pas plus d’avancées majeures dans la majorité des pays européens  ?

Mais vous avez donné la réponse dans votre question, c’est une volonté gouvernementale de souhaiter ou pas de s’engager très concrètement là-dessus. Je trouve intéressant l’exemple que vous prenez sur les pays nordiques. Que ce soit sur la parité des salaires en Islande, qui est inscrite dans la loi, ou sur la politique d’intégration des migrants en Suède, il y a une vraie volonté de mettre en place des décisions fortes. Nous devrions nous en inspirer fortement. Surtout en Suisse. Pour prendre mon propre exemple, lorsque je me suis installée en 2007 à Genève, le dossier que j’ai dû monter pour louer mon appartement est sûrement le pire entretien d’embauche que j’ai fait dans ma vie ! C’est pourquoi c’est très important d’avoir aujourd’hui le conseil administratif derrière Sami Kanaan pour signer cette initiative qui dit, noir sur blanc, qu’il faut mettre des éléments normatifs pour pouvoir permettre un accès beaucoup plus large aux logements, éviter le sans-abrisme, à toutes les personnes et particulièrement les femmes, les migrants, les personnes handicapées, les personnes LGBT ou encore les jeunes, qui comme le texte de la campagne le souligne sont susceptibles d’être victimes de discriminations ou de marginalisation. Cette cause s’inscrit pleinement dans la lignée de ce que nous prônons au sein du festival, à savoir mettre en place des processus inclusifs de toutes les minorités et toutes les communautés… Attendons de voir ce qui sera mis en place après cette signature, rendez-vous dans un an pour faire le point.

Comme vous l’avez déjà précisé, la nécessité de l’action collective est primordiale pour faire avancer toutes les causes quelles que soient leur nature…

Quelqu’un m’a demandé ce que j’aimerai susciter chez les gens avec cette programmation. Je lui ai répondu que je souhaiterais qu’ils sortent des panels, pas en se demandant s’ils vont manger sushis ou pizzas mais plutôt en se disant qu’ils ont envie de s’investir et comment ils vont le faire ! Et il existe différentes manières assez simples de s’engager, ne serait-ce que de se donner les moyens d’avoir accès à une information de qualité, c’est important. C’est ce que nous avons fait en programmant ce panel inédit.