Le Brexit relègue la santé des britanniques au second plan
Il est tout à fait possible que ces mesures d’austérité soient responsables de la stagnation de l’espérance de vie et de l’accroissement des inégalités en matière de santé.
Des chiffres publiés en septembre 2018 montrent que l’espérance de vie des Britanniques a cessé de progresser entre 2015 et 2017. Ces statistiques inquiètent de nombreux scientifiques, parmi lesquels Sir Michael Marmot, professeur d’épidémiologie à University College London (UCL) et directeur de l’Institute of Health Equity de UCL.
La stagnation de l’espérance de vie des Britanniques n’est, hélas, pas une surprise ?
Non. En 2017, nous, les chercheurs, nous sommes rendu compte que l’espérance de vie ne progressait plus au même rythme qu’auparavant. Certains éditorialistes ont alors réagi en disant « c’est peut-être la conséquence d’un hiver particulièrement rude ou de l’épidémie de grippe hivernale ». Or, un an plus tard, non seulement nous savons que l’espérance de vie a cessé de progresser en Angleterre mais elle a reculé en Écosse, en Irlande du Nord et au Pays de Galles et le fossé entre riches et pauvres se creuse de nouveau.
Quelle importance faut-il accorder à ces statistiques ?
Elles indiquent quelque chose de crucial sur la nature de la société britannique. Regardez ce qui se passe aux États-Unis : l’espérance de vie a reculé pour la troisième année consécutive en 2017. Est-ce que c’est ce qui attend le Royaume-Uni ? Nous devons être extrêmement vigilants. Aux États-Unis, les over-doses provoquées par la prise de médicaments opioïdes sont en partie responsables du recul de l’espérance de vie. Le Royaume-Uni est épargné par ce phénomène. Cependant, les statistiques officielles publiées en 2018 indiquent une augmentation du taux de suicides des 15-19 ans en Angleterre et au Pays de Galles. (Le taux de suicides des jeunes femmes était de 3,5 pour 100 000 en 2017, contre 2,1 pour 100 000 en 2010, ndlr).
La stagnation de l’espérance de vie ne semble pas préoccuper le gouvernement…
Le problème, c’est que le Brexit accapare toute l’attention du gouvernement. La santé des Britanniques est reléguée au second plan. L’été dernier, j’ai écrit au ministre de la Santé. Je lui ai dit qu’il fallait accorder autant d’importance à la stagnation de l’espérance de vie qu’à la crise qui a touché le National Health Service pendant l’hiver 2017-2018. Au Royaume-Uni, l’espérance de vie devrait continuer à augmenter comme c’est le cas dans la plupart des autres pays européens.
Quel est l’impact de la cure d’austérité imposée au service de santé publique depuis 2010 sur la santé des Britanniques ?
Je pense que le National Health Service (NHS) s’occupe bien des patients en situation d’urgence alors que ceux qui souffrent de problèmes de santé moins aigus qu’un cancer ou qu’une leucémie doivent attendre plusieurs mois avant d’être pris en charge. Depuis la fin des années 1990 jusqu’en 2010, le budget du NHS a augmenté d’environ 4% par an. Par contre, depuis 2010, il n’a progressé que d’1% environ. Il est impossible de procéder à de telles coupes budgétaires sans provoquer de dégâts. Les médecins généralistes, par exemple, sont écrasés de travail. Cependant, même si le NHS a souffert de l’austérité budgétaire, ça n’est pas ma principale source d’inquiétude.
Sur quoi portent vos recherches sur la santé ?
En 2010, j’ai publié un rapport sur les inégalités en matière de santé en Angleterre et la façon de les réduire. J’ai identifié six domaines d’intervention cruciaux : le développement des jeunes enfants, l’éducation, l’emploi et les conditions de travail, la nécessité de gagner un revenu suffisant pour vivre, l’importance de vivre dans un logement décent et durable et, enfin, la nécessité pour les autorités de faire de la prévention en matière médicale. En ce moment même, je prépare un nouveau rapport pour 2020. Je ne peux pas tirer de bilan mais j’ai identifié des tendances préoccupantes telles que la fermeture des centres de puériculture, la réduction du budget de l’État alloué aux élèves dans le domaine de l’éducation ou encore l’augmentation du nombre de personnes sans domicile fixe. Il est tout à fait possible que ces mesures d’austérité soient responsables de la stagnation de l’espérance de vie et de l’accroissement des inégalités en matière de santé.
La santé des Britanniques peut-elle s’améliorer en dépit de l’austérité ?
Oui, car il n’y a pas que le niveau de décision national qui compte. Les chercheurs peuvent travailler avec des municipalités. L’Institute of Health Equity que je dirige collabore avec la Ville de Coventry dans le centre de l’Angleterre. La municipalité est une Marmot City (elle applique les principes identifiés par Michael Marmot dans sa gestion de la ville pour réduire les inégalités entre riches et pauvres en matière de santé, ndlr). Les pompiers de la région des West Midlands mènent eux aussi une démarche de prévention et d’information en matière de santé publique. Si un pompier entre en contact avec une personne âgée isolée, il ne reste pas sans rien faire. À Coventry, les services municipaux travaillent avec la police, pas seulement sur des questions de maintien de l’ordre mais pour renforcer le lien social dans l’espoir de faire baisser la criminalité. Même si les collectivités locales ont été touchées de plein fouet par la politique d’austérité, les fonctionnaires qui travaillent pour ces collectivités ne baissent pas les bras. Ils essaient de faire de leur mieux avec des moyens limités. Quelle que soit la gravité de la situation, nous avons le pouvoir d’améliorer les choses.
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