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L’architecture comme outil de développement

Francis Kéré, architecte désormais célébré dans le monde entier, a commencé sa carrière par un simple projet d’école dans son village natal, au Burkina Faso. Les oeuvres de Kéré sont vectrices d’échange, de développement, et tendent à changer des vies.

Pour Francis Kéré, l’architecture est un pont. Un pont entre les cultures, pour cet artiste d’origine burkinabé, mais qui a ouvert son cabinet d’architecture à Berlin, et qui passe sa vie dans les avions. Un pont social, aussi, permettant aux communautés les plus défavorisées d’avoir accès à l’éducation, à la santé, ou à la culture. A 50 ans, Francis Kéré a participé à la rénovation du musée de la Croix-Rouge de Genève, il a imaginé un abri élégant et moderne pour les Bains Royaux du Soudan, joyaux du patrimoine mondial protégé par l’Unesco, mais aussi à un ensemble résidentiel au nord du Mozambique, ou encore à une « place de la rencontre » à Chicago. Mais le projet qui lui tient le plus à coeur, « le projet de toute [sa] vie », c’est à Gando, son village d’origine. « Gando ce n’est pas un projet, confiet-il, c’est un processus. J’y travaillerai aussi longtemps que je respirerai. » Pour comprendre son oeuvre à Gando, il faut remonter à sa plus tendre enfance. A l’âge de 7 ans, Francis Kéré est envoyé en ville pour étudier. Il n’y a pas d’école à Gando. Pas d’électricité non plus, ni même d’accès à l’eau ou de route dans ce village du Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du monde. Le jeune homme deviendra ensuite charpentier. Mais rapidement, il obtient une bourse pour partir en apprentissage en Allemagne. « J’ai eu de la chance », lâche-t-il. Sûrement. Ou déjà, beaucoup de talents. Il intègre ensuite l’Université technique de Berlin. Loin de son village, où il ne retourne que très rarement, il lui manque « un pont », entre celui qu’il est devenu et ses racines. Pendant ses études, il pense déjà à mener un projet au Burkina Faso : une école. « Je souhaitais utiliser mes compétences pour la communauté », explique-t-il. Il récolte de l’argent parmi ses amis, ses connaissances, et deux ans plus tard, dispose de 50 000 dollars. Le projet Gando peut voir le jour.

S’inspirer du lieu

« Ma grande priorité a toujours été l’adaptation à l’environnement », raconte l’architecte. Partout où il élabore ses projets, Francis Kéré utilise les matériaux de la région. A la première Biennale de l’architecture de Chicago, par exemple, pour son projet de « place de la rencontre », il a installé des bancs en rondins de bois, dans une forme arrondie. En Afrique en général, et à Gando en particulier, où l’acheminement de matériaux est plus complexe, l’utilisation de la glaise était une évidence. Mais, pas pour la communauté. « Les villageois ont été choqués, se souvient-il. La glaise, c’est pour les pauvres dans l’imaginaire collectif. » Il la rendra belle, élégante, polie grâce aux efforts de tout le village. L’autre impératif dans cette région du Sahel, c’est la lutte contre la chaleur. Il sait trop bien ce que c’est que d’étudier dans des salles de classe où il fait plus de 50 degrés. « C’était une nécessité absolue, mais je suis contre les systèmes de climatisation », lâche-t-il. Dans un village sans électricité, un générateur à diesel serait un gaspillage. L’architecte imagine donc un plafond arrondi et ouvert sur l’extérieur pour favoriser une ventilation naturelle.

Le projet d’une vie

La première école primaire est achevée en 2001. « Un vieux m’a interpelé dans le village, se souvient-il. Il m’a dit que, depuis sa cour, il avait la meilleure vue sur mon oeuvre. Il était aveugle… mais il voulait dire qu’il n’avait pas besoin de ses yeux pour voir que l’école avait changé la vie de la communauté. » La petite école s’est ensuite étendue pour accueillir près de 700 élèves. Puis, il a fallu construire un logement pour les enseignants, un terrain pour le sport, un collège, et une magnifique bibliothèque, aux murs bâtis en glaise et aérés par des trous dessinés grâce aux pots de terre traditionnels. La plus belle réussite du projet de Gando est d’avoir su y inclure le village dans son élaboration, savoir redonner de la beauté aux matériaux locaux. Ce que Francis Kéré appelle : « Donner de la fierté aux utilisateurs des bâtiments. » Gando est sans aucun doute un projet du futur, puisque près de 200 jeunes, formés dans son élaboration, mènent actuellement des constructions similaires à travers tout le Burkina Faso. « Je suis heureux de pouvoir dire que je peux faire rêver les jeunes, avoue l’architecte. Je leur ai prouvé que l’on n’a pas besoin d’un gros budget, que l’on peut changer le sort des communautés, et que l’on n’a pas forcément besoin de passer par de grandes structures ou des lobbys. » Il marque une pause. « En fait, c’est ça l’architecture. Son but ultime est de transformer une société. »

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Par manque de temps, mais surtout par manque de financements, le grand projet d’école à Kogelo, le village kényan, où est né le père de Barack Obama, est au point mort. Les plans du cabinet Kéré sont faits, ils ont été accueillis avec grand enthousiasme par la grand-mère du président des Etats-Unis, à la tête de la fondation Mama Sarah Obama. Le projet d’une école « de l’Héritage » s’inspire de ce qui a été fait à Gando, au Burkina Faso : un campus de 12 hectares où 1 000 enfants pourraient être scolarisés de la maternelle au lycée. Dans le projet, on trouve des écoles, mais aussi une bibliothèque et des espaces récréatifs. « C’est une idée magnifique qui répond vraiment aux besoins de cette région peu développée, admet Francis Kéré. Mais il coûte cher [environ 10 millions de dollars]. » Une somme encore difficile à récolter auprès des bailleurs de fonds.

Le projet Kogelo