La manie du genre dans la langue allemande

Selon un expert, la féminisation de la langue allemande a entraîné la sexualisation du langage, qui a conduit au sexisme. Il est vrai que certaines créations linguistiques témoignent d’une extravagante imagination.

Est-ce que le mot « hôte » désigne uniquement un homme ? Évidemment non. Un « hôte » peut désigner également une femme. Dans la langue allemande, le terme der Gast est employé de la même manière. Cependant des féministes suisses allemandes peu satisfaites de cet usage ont féminisé le mot pour le transformer en die Gästin. Ce n’est pas une blague.

Les femmes qui prônent l’utilisation de l’écriture inclusive mettent le signe « ̈ » de l’Umlaut sur la voyelle, comme der Bauer et die Bäuerin (l’agriculteur et l’agricultrice) et rajoutent la terminaison -in, ce qui, dans la langue française, pourrait ressembler aux suffixes –rice ou –euse. Un néologisme comparable en français pourrait aboutir à « une hôteuse » !

D’autres exemples existent, comme le Fussgängerinnenstreifen et le Fussgängerstreifen que l’on pourrait traduire par le « passage piétonnes et piétons » et semblent ridicules dans les deux langues. Ceux qui ironisent sur de telles propositions sont considérés comme sexistes, tout comme ceux qui défendent le principe de l’égalité des sexes, mais qui refusent d’alourdir la langue. « Celui qui désapprouve passe pour un réactionnaire, donc on ne se prononce pas », écrit Claudia Wirz dans un article de la NZZ, paru en février 1. « Aux éventuels avis mesurés s’oppose une censure implacable du langage et de la pensée », ajoute-t-elle.

Grands prêtres à l’Université

Claudia Wirz a examiné le guide sur l’écriture inclusive diffusé récemment par l’Université de Zurich, Geschlechtergerecht inText und Bild 2. Sur les 26 pages que compte ce guide, des dizaines d’articles illustrent la manière de rédiger ou de représenter les femmes. Quelques exemples : la phrase « les traitements de dentiste sont assurés » est considérée comme trop masculine par les grands prêtres de la théorie du genre. L’Université recommande de renoncer au substantif dentiste et de le remplacer par un adjectif tel que « les traitements dentaires ». Par ailleurs, des formules de politesse telles que sehr geehrte Frau Professor Meier ou Professor Müller und Gemahlin sont bannies. L’Université est tenue d’écrire Frau Professorin Meier et de s’adresser au couple Müller en écrivant Frau Müller-König und Professor Müller. Selon Claudia Wirz, tout cela n’est que pure idéologie.

La grande étude

Pour justifier ses directives sur l’écriture inclusive, l’Université de Bâle se base notamment sur le résultat d’une étude germano-belge de 2015 parue sous le titre Mécaniciennes et mécaniciens automobiles : comment la langue est-elle perçue par des enfants selon le genre des métiers ?3 Les chercheurs Dries Vervecken et Bettina Hannover ont présenté des noms de métiers au masculin pluriel à 591 enfants de classes allemandes et belges âgés de 6 à 12 ans. Ensuite, ils leur ont présenté des métiers au nom neutre sous l’angle du genre, soit autant sous forme masculine que féminine. À l’aide de questionnaires, les enfants ont évalué la difficulté d’exercer chacun de ces métiers ainsi que leur capacité à en faire l’apprentissage. L’étude a montré que les enfants auxquels les métiers ont été présentés sous un angle neutre du point de vue du genre se considéraient plus souvent capables de choisir un métier « traditionnellement masculin » que les enfants auxquels a été présentée seulement la forme masculine des métiers. En conclusion, les métiers à caractère masculin ont été estimés moins difficiles à apprendre quand les enfants ont pu les voir sous l’angle neutre du genre, contrairement à ce qui se passe quand la profession avait été présentée sous la forme masculine. Une des explications possibles données par les auteurs est que les enfants ont appris, déjà à l’école primaire, à associer les tâches masculines à un degré de difficulté plus élevé. En employant le terme neutre, « il est possible de contribuer à motiver des jeunes à se lancer dans des métiers traditionnellement destinés aux hommes ».

 

Aux éventuels avis mesurés s’oppose une censure implacable du langage et de la pensée.

Le langage doit être clair

Cette étude a suscité un vif débat sur le gender mainstreaming (« l’intégration des politiques d’égalité entre hommes et femmes ») lequel pourrait aboutir à l’effacement de la différence entre homme et femme dans la langue. L’écrivaine et présidente de l’association Frau 2000plus Birgit Kelle4 – aussi membre du comité directeur de l’organisation faîtière New Women for Europe – y voit une sorte de tyrannie du genre.

La thèse selon laquelle la répartition traditionnelle des rôles est le résultat de l’éducation reçue – emprisonnant les hommes et les femmes dans leur rôle réciproque – n’a jamais été prouvée. « Nous attendons une réponse à cette question depuis plus de vingt ans, époque depuis laquelle le gender mainstreaming est à l’agenda des Nations Unies. » Les plus de 140 chaires universitaires en Allemagne n’y ont pas apporté de conclusions convaincantes non plus.

Markus Knill, conseiller en communication, préconise sur son site Internet www.rhetorik.ch de se référer à la pratique courante. La population ne se formalise pas sur le terme masculin « passage piétons ». De même, personne n’est choqué de lire dans la presse que les terroristes sont toujours mentionnés au masculin. Markus Knill qualifie de « néologisme parfaitement insensé » le terme Gästin. « Un être humain qui lit est un lecteur. Un être humain qui travaille est un ouvrier. Un être humain qui pêche est un pêcheur. » Selon lui, une intervention féministe extrême dans la langue allemande conduit à une sur-gendérisation du langage et, par là, au sexisme. Celui qui s’exprime doit être clair et lisible. Dans la communication orale et écrite, c’est la compréhension qui doit primer.

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