La géothermie sous la loupe

La production de chaleur, de froid et d’électricité via la géothermie, quasiment inépuisable, suscite un engouement planétaire. Le point sur la situation actuelle.

Il existe une richesse inestimable, l’énergie stockée sous forme de chaleur, qui ne dépend de rien ni de personne et se constitue grâce à la désintégration d’éléments radioactifs présents naturellement : la géothermie. Tour d’horizon. Alors que nous utilisons l’eau thermale comme source de chaleur depuis des siècles, l’apparition des premières machines thermodynamiques (pompes à chaleur) remonte à la fin du XVIIIe siècle. Grâce à elles, il a été possible de valoriser la géothermie de surface (1 à 400 m) pour chauffer ou refroidir aussi bien des villas que des grands complexes. La géothermie de moyenne profondeur (400 à 2 000 m) permet aussi de chauffer des bâtiments neufs ou rénovés en direct, grâce à un réseau de chauffage à distance. La production d’électricité s’effectue, elle, avec une géothermie profonde (2 000 à 6 000 m), dont une grande partie de l’énergie est également exploitée en réseau de chauffage à distance.

La géothermie dans le monde

Le marché mondial de l’énergie géothermique continue de croître, car les avantages sont nombreux. Cette source d’énergie durable et renouvelable n’émet pas d’émissions nocives, s’exploite localement, occasionne une faible emprise sur le terrain en surface, produit des perspectives énergétiques et rentables à long terme et écarte l’utilisation de
ressources fossiles. Pour partager leurs connaissances et appréhender les enjeux politiques et économiques de la géothermie, les grandes enseignes de l’industrie se réunissent tous les cinq ans lors du Congrès mondial de la géothermie (World Geothermal Congress). Le dernier s’est déroulé en avril 2015 à Melbourne, en Australie. Les experts annoncent des chiffres convaincants ; la production d’électricité engendre un essor économique au niveau de la recherche et de la création d’emplois. Aujourd’hui, la capacité de production d’électricité s’élève à 12 635 MW, soit 16 % d’augmentation par rapport à 2010 et on l’évalue à 21 400 MW en 2020. Ce sont le Kenya, la Turquie et la Nouvelle-Zélande qui ont le plus intensifié leur production. La capacité de production du thermique a augmenté de 45 % depuis 2010, elle atteint 70 330 MW dans 82 pays, contre 48 500 MW il y a cinq ans. On contourne ainsi 148 millions de tonnes/an de CO2 et on chiffre à 34 000 la création annuelle de postes de travail dans 52 pays (sources Iga).

Les derniers sondages relèvent plus de 3 milliards de kWh d’énergie géothermique renouvelable produits en Suisse en 2013.

La géothermie en Suisse

La Suisse dispose d’un énorme potentiel. La production de chaleur a triplé ces dix dernières années. Son chiffre d’affaires en 2014 se situe aux alentours du milliard de francs tous systèmes confondus, sans compter le domaine de la recherche ; 10 000 emplois ont été créés à cet effet. Selon les dernières études de Geothermie.ch, la production en 2013 dépasse 3 milliards de kilowattheures d’énergie renouvelable équivalant à plus de 300 millions de litres de mazout ou 870 000 tonnes de CO2 économisés. Et ces valeurs augmentent chaque année. L’Office fédéral de l’énergie, OFEN, prévoit la construction d’une douzaine d’installations de géothermie profonde d’ici à 2030 et chaque canton calque ses politiques énergétiques et financières sur elle et son programme énergétique 2050, avec ses propres spécificités dépendant de ses territoires et de sa situation financière. Le Conseil fédéral encourage les projets de géothermie profonde avec 3,6 millions de francs financés pour la recherche et de nouvelles motions pour obtenir d’autres fonds.

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Forage de Brigerbad (VS) à 499 m. Ce dernier alimente les bains thermaux.

Concrètement

Parmi des milliers de réalisations de sondes géothermiques auprès de particuliers, industries et commerces dans le canton, la Ville de Genève, pour atteindre son objectif « 100% renouvelable en 2050 », a recours à la géothermie de faible profondeur. Le groupe scolaire des Cropettes prévoit la production théorique de sa PAC à environ 150 000 kWh par an pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire. Pionnier, l’immeuble sis 10, rue Cité-de-la-Corderie, quant à lui, est alimenté par une PAC de 30 kW, quatre sondes géothermiques de 165 m, 30 m2 de capteurs solaires thermiques. Seul inconvénient, la PAC fonctionne à l’électricité. « La Ville ne souhaitant pas faire exploser ses consommations électriques, elle la couple avec une centrale solaire photovoltaïque de façon à produire de l’électricité locale et renouvelable », explique Valérie Cerda, cheffe du Service de l’énergie. Les économies s’élèvent à 50 % de frais de chauffage pour les locataires et 2 000 litres/an de mazout. Dans le cadre du programme GEothermie 2020, les SIG ont été mandatés par le canton pour réaliser des tests de géothermie de moyenne et grande profondeur, soit de 1 500 à 3 000 m, et améliorer la connaissance de ses sous-sols. La future cartographie sur les couches géologiques calcaires et perméables permettra de réaliser des forages de prospection dès 2018, en vue d’une exploitation future qui chaufferait des quartiers entiers en produisant de l’électricité. « Vaud accorde une subvention de 8 000 francs pour le remplacement d’un chauffage électrique par une PAC. Il peut les accorder au coup par coup pour financer une partie de l’étude d’un projet innovant de géothermie de surface, de moyenne ou grande profondeur. Il en va de même avec les autres cantons romands. Toutefois, les subventions ne sont pas les mêmes dans chacun d’eux », explique André Freymond, responsable de l’antenne romande Geothermie.ch et Pac.ch. Le vaste projet de forage géothermique à Lavey-les-Bains/VD cherche actuellement de l’eau à plus de 100 degrés à 3 000 m de profondeur, dans le but de produire du courant électrique pour environ 1 600 ménages. Le gouvernement jurassien, quant à lui, vient de donner son aval pour un projet de géothermie profonde sur la commune de Haute-Sorne.

La prudence est de mise

Si le constat global sur la géothermie est plutôt optimiste, il faut creuser avec prudence, preuves en sont les séismes bâlois et l’interruption du forage saint-gallois, qui va reprendre grâce au soutien de la Confédération à concurrence de 18,2 millions. D’autre part, lorsque les cantons délivrent les autorisations de forage sur sites, les investissements financiers de départ sont élevés, en particulier pour les projets de moyenne et grande profondeur. Le sous-sol de la Suisse n’étant pas suffisamment connu, des incertitudes demeurent. De plus les exigences administratives sont lourdes et lentes, décourageant plus d’un entrepreneur. « La méconnaissance du sous-sol au-delà de 400 m de profondeur, les risques financiers et le manque de soutien politique et pécuniaire entraînent des freins au développement de la géothermie de moyenne et grande profondeur », conclut le Dr Walter Eugster, chef de la Commission du Certificat de qualité pour entreprises de forages de sondes géothermiques du Groupement professionnel suisse pour les PAC, GSP.