La femme, dernière caste de l’Inde

Faut-il instaurer des quotas pour les femmes en politique ? Le débat agite l’Inde depuis des décennies. En 1993, le pays a franchi un premier pas en réservant le tiers des sièges aux conseils des villages (les panchayats) aux femmes.

Il hésite davantage à leur accorder les mêmes quotas dans les parlements régionaux et nationaux, malgré la présentation d’une loi en 1996, 1998, 1999 et 2008, qui n’a jamais obtenu la majorité. Résultat : les femmes n’occupent que 11,3 % des sièges aux chambres haute et basse du parlement indien, contre une  moyenne de 25% dans les autres parlements dans le monde.

 

L’Inde est le pays le plus dangereux du globe pour les femmes.

Dans un pays, récemment classé par la fondation Thomson Reuters comme étant le plus dangereux du globe pour les femmes, les obstacles à leur participation à la vie politique sont nombreux. Elles souffrent dans le pays d’un taux d’illettrisme plus élevé que la moyenne, et sont largement sous-représentées dans la population active. Les quotas ont pourtant fait leurs preuves. La parité entre hommes et femmes ne se justifie pas seulement au nom de l’égalité des sexes, elle est souvent la garantie d’une meilleure gouvernance. Plusieurs études menées en inde ont montré que dans les villages qu’elles dirigent, la police enregistre davantage de plaintes déposées par les femmes, les taux de malnutrition infantile reculent, les filles sont plus nombreuses à fréquenter les écoles. Lorsque les femmes sont élues à la tête des conseils de village, elles engagent des réformes dans des domaines souvent ignorés par leurs prédécesseurs. Dans le village de Dhani Miyan Khan de l’État de l’Haryana, Sushma Bhadu a, par exemple, mis fin à la pratique qui oblige les habitantes à se couvrir la tête d’un voile lorsqu’elles sont en public, et a construit un centre de formation destiné aux femmes. Des tranchées ont été creusées pour récolter et stocker l’eau de pluie dans des réservoirs. Les femmes sont plus nombreuses à occuper un emploi, comme sur les chantiers de construction d’infrastructures. Dans le Maharashtra, à l’ouest de l’Inde, une femme membre d’un conseil de village a organisé des débats publics sur la dot de mariage versée par l’épouse, interdite par la loi mais en réalité très répandue. Un autre sujet souvent ignoré mais qui est à l’origine de nombreuses violences domestiques est celui de l’alcoolisme. Plusieurs femmes élues se sont battues dans l’Himachal Pradesh, au nord de l’Inde, pour faire fermer des échoppes vendant de l’alcool. « Dans les villages gérés par des femmes, la gouvernance est généralement plus transparente et la participation des habitants est aussi plus élevée », observe Chandan Dutta, de l’ONG Participatory Research Asia basée à Delhi. La mise en place des quotas permet de changer l’image de la femme dans la société Indienne. « L’élection de femmes affaiblit les stéréotypes sur les rôles attribués à chaque genre dans les sphères privée et publique, et élimine les préjugés sur l’efficacité des femmes à gouverner » constate un groupe de chercheurs dans un article publié en 2009 par la revue américaine The Quarterly Journal of Economics. Des résultats qui doivent cependant être nuancés en fonction de la caste ou la classe sociale des femmes dirigeantes. Une étude réalisée en 2005 par Irma Clots-Figueras, professeure à la London School of Economics, montre que, lorsqu’elles sont issues des basses castes, les femmes privilégient les investissements dans les infrastructures. Celles issues de castes supérieures ont tendance à réduire les dépenses sociales et à s’opposer à la redistribution des terres.

Mais malgré des résultats généralement positifs, l’imposition de quotas se heurte à quelques résistances. Récemment, le gouvernement indien a décidé d’étendre les quotas réservés aux femmes à la moitié des sièges des conseils de villages, contre 33 % aujourd’hui. Mais le vote de la loi a été repoussé à plusieurs reprises. Rekha Sharma, la directrice de la Commission pour les femmes qui dépend du gouvernement indien, estime que certaines cheffes de village sont en réalité manipulées par leur fils ou leur mari. Quant au ministre en chef de l’État de l’Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, il considère que le « pouvoir féminin ne nécessite pas la liberté mais la protection » et craint que les femmes actives en politique « ne perdent leur importance et leur rôle en tant que mères, filles et soeurs. »

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