L’accumulation de pouvoir des cantons est préoccupante
La tendance au ‘ cantonalisme ’ en matière de politique de santé, au détriment d’une vision plus globale, a aussi des répercussions sur les primes et sur les impôts.
Pour le député genevois Murat Julian Alder, un conflit d’intérêts patent existe dans le fait qu’un canton puisse être propriétaire et exploitant d’hôpitaux, planificateur de la politique hospitalière et arbitre dans les négociations tarifaires.
Pensez-vous que des solutions pérennes puissent être trouvées pour un système de santé suisse efficace et abordable ?
En 2016, le Conseil fédéral a mandaté un groupe d’experts pour se pencher sur cette question. Le rapport de ce groupe, qui a été adopté à l’unanimité, comporte 38 mesures, dont l’objectif est de contenir la hausse des coûts dans le domaine de l’assurance obligatoire des soins. Cela montre bien qu’il n’existe pas une seule solution miracle pour contrer l’augmentation des coûts, mais bien une conjonction de mesures et la participation de tous les acteurs. Cela étant, nous avons encore de la marge pour rendre le système plus efficient. Le nouveau financement des hôpitaux en 2012 constitue un pas dans la bonne direction, puisqu’il apporte davantage de transparence, garantit le libre choix de l’hôpital dans toute la Suisse, stimule la concurrence et incite les hôpitaux à travailler de manière plus efficiente. Le pro-jet de financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS), mis en consultation, constitue un autre bon exemple. Cela étant, il serait souhaitable d’inclure la question de la qualité des prestations médicales dans le cadre de ces réflexions. Autrement dit, pour maintenir un système de santé efficace, abordable et solidaire, il faut dépasser le seul cadre des coûts et adopter une approche basée sur le rapport qualité-prix des prestations.
Passer au système « moniste » suppose un responsable central : si ce sont les caisses maladie, doit-on craindre qu’elles en tirent trop de pouvoir ?
À l’heure actuelle, les prestations stationnaires sont prises en charge à raison de 45% par les caisses d’assurance maladie et de 55% par les cantons. En revanche, les prestations ambulatoires sont, elles, entièrement prises en charge par les caisses maladie. Dans certains cas, cela peut amener les caisses à inciter les patients à se faire soigner en milieu stationnaire, alors que l’intervention en milieu ambulatoire coûterait globalement moins cher, ce qui est aberrant. En cela, le passage au système dit « moniste » est une bonne chose. Dans l’assurance obligatoire des soins, les caisses d’assurance maladie sont dans une position d’exécutant et doivent à ce titre appliquer la LAMal, ce qui comporte une restriction acceptable de leur liberté de manœuvre. Ce qui m’interpelle plutôt dans le système actuel, c’est notamment l’accumulation des pouvoirs entre les mains des cantons. À mon avis, il existe un conflit d’intérêts patent dans le fait qu’un canton puisse à la fois être propriétaire et exploitant d’hôpitaux, planificateur de la politique hospitalière et arbitre dans les négociations tarifaires. C’est un peu comme si un joueur de football était propriétaire de son équipe, arbitre et gardien du but de l’équipe adverse en même temps ! Or, la tendance au « cantonalisme » en matière de politique de santé, au détriment d’une vision plus globale, a aussi des répercussions sur les primes et sur les impôts.
Des solutions comme celle de Singapour, conjuguant épargne de prévoyance santé et couverture sociale généralisée, vous semblent-elles applicables chez nous ?
Le « Medical Savings Account », adopté par Singapour au début des années 1980, constitue une bonne source d’inspiration, mais je me méfie des importations juridiques sous la forme d’un « copier-coller ». Chaque pays a ses spécificités institutionnelles et démographiques. À mon sens, la dimension sociale de la LAMal doit être pleinement maintenue. En revanche, il serait tout à fait envisageable de créer, en sus, comme le propose Avenir Suisse, un 4e pilier qui obligerait tout un chacun, dès l’âge de 55 ans, à se constituer une épargne de prévoyance de santé destinée à couvrir les coûts des soins liés au 4e âge. En effet, à l’heure actuelle, les jeunes générations et les familles sont, en la matière, excessivement mises à contribution. La situation ne s’améliorera d’ailleurs guère avec l’évolution de notre pyramide des âges.
Est-il normal, du point de vue du juriste, que les caisses maladie aient la compétence de mainlevée des oppositions aux poursuites qu’elles ont lancées ?
Il est vrai qu’il y a quelque chose de surprenant à permettre à une caisse d’assurance maladie de prononcer elle-même la main-levée de l’opposition formée contre un commandement de payer qu’elle a elle-même requis en raison de primes impayées. Toutefois, en matière d’assurance maladie obligatoire des soins, les caisses sont assimilables à des autorités administratives qui rendent des décisions formelles. Elles bénéficient donc à ce titre-là d’un régime particulier qui peut se justifier. Toutefois, si l’on devait modifier cette règle, je crains que cela ait surtout pour effet d’augmenter de manière significative les frais engagés par les caisses pour obtenir le recouvrement de leurs créances. Ces frais se répercuteraient alors sur les primes, ce qui aurait pour conséquence d’entamer encore davantage le pouvoir d’achat des habitants de notre pays.
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