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La Suisse face à l’effrayant continent de plastique

Le plastique est l’ennemi numéro un de la faune et de la flore marines. Les sacs et emballages étouffent les coraux et menacent directement 800 espèces vulnérables. Et cette pollution concerne aussi la Suisse.

La chasse aux déchets plastiques a été largement médiatisée ces dernières années par l’utilisation récurrente de l’image choc d’un continent de plastique symbolisant l’avancée inquiétante d’une pollution mondialisée. Le lancement de plusieurs projets média-tiques ont participé à une meilleure conscientisation des citoyens quant à la nécessité de réduire la consommation de plastique sur notre planète et de mieux récupérer les déchets. En effet, personne n’aime se promener sur une plage en évitant constamment les déchets plastiques ramenés du grand large par la houle ou nager dans une eau polluée par des microparticules de plastique. Cette pollution mondialisée se retrouve même dans nos rivières et lacs. Par exemple, l’opération Net’Léman vise à nettoyer chaque année les rives et les fonds du Léman des deux côtés de la frontière. Elle réunit plus de 1 000 participants bénévoles par édition. Net’Léman a permis de récupérer, depuis son lancement en 2005, plus de 115 tonnes de déchets divers.

Risque d’effet cocktail

En Suisse, la consommation moyenne de plastique est de 800 000 tonnes par an. Seulement 10% de cette masse est recyclée. C’est beaucoup trop peu selon de nombreux experts, dont Luiz Felippe de Alencastro, professeur honoraire de l’EPFL et grand spécialiste mondial des micropolluants. Le professeur Felippe de Alencastro a été un pionnier dans l’étude des microplastiques dans l’environnement aquatique en Suisse. Selon lui, « les microplastiques contiennent des micropolluants comme des colorants à base de pigments avec des métaux, du bisphénol et des phthalates. Les sources principales de micropolluants sont les métaux comme le mercure, le plomb, le cadmium, le chlore, le zinc des canalisations, le cuivre utilisé en viticulture, l’usure des pneus et les métaux lourds dans les eaux des lacs. Ces toxiques se retrouvent en quantité dans notre alimentation. » Il précise encore qu’il y a un risque d’effet cocktail que les écotoxicologues étudient de manière précise dans notre pays. De nombreux résidus de médicaments comme le Diclophénac ou des produits de contraste utilisés en radiologie se retrouvent dans les urines et les sels. Ils deviennent problématiques parce que nos stations d’épuration actuelles ne sont pas faites pour retenir ces substances.

Le Léman concerné

Il y aurait également 53 tonnes de billes de déchets synthétiques dans les réserves naturelles de nos montagnes, selon une étude récente réalisée à l’Université de Berne. En 2016, des chercheurs de l’EPFL et de l’Université de Genève avaient découvert que le lac Léman, l’une des plus grandes étendues d’eau potable du continent, était lui aussi touché par des concentrations de micro-plastique. Le but était de mesurer l’impact des débris plastiques sur la faune et la flore. Les chercheurs ont ainsi collecté des déchets sur 12 plages autour du Léman. Ils y ont trouvé plus de 3 000 débris de plastique tels que jouets, stylos, cotons-tiges, tuyauterie, emballages alimentaires et des fragments de plastique. « Une grande partie du plastique était similaire à celle que l’on trouve sur les plages marines, telle que les bouteilles, les pailles et le polystyrène », note l’étude. Parmi les 3 000 déchets collectés pour cette recherche de l’Université de Genève, plus de 600 ont été passés à la loupe au moyen de la fluorescence X pour rechercher des toxines et déterminer la composition chimique des matériaux. La présence fréquente d’éléments dangereux, tels que le brome, le cadmium, le mercure et le plomb, dans des concentrations très élevées dans certains cas, a été détectée. Cette étude est parue dans la revue Frontiers in Environmental Science, l’une des rares à examiner les plastiques dans les lacs d’eau douce. Elle montre que, comme les océans, ces habitats sont également touchés par la pollution plastique.

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8 milliards de tonnes de déchets plastique sont en circulation dans le monde.

Le contenu d’un camion-poubelle par minute

À l’échelle mondiale, ce sont de 8 à 10 millions de tonnes supplémentaires qui sont déversées chaque année dans les océans, soit le contenu d’un camion-poubelle chaque minute. L’association suisse Oceaneye s’est lancée depuis 2010 dans l’étude globale de la pollution marine causée par les plastiques. Oceaneye a été fondée par deux passionnés : Pascal Hagmann et Gaël Potter. L’un est un ingénieur en mécanique passionné d’océanographie et l’autre, docteur en biologie. L’association compte huit voiliers bénévoles qui récoltent des données partout dans le monde lorsqu’ils naviguent. Le constat de départ des fondateurs était simple : comme les expéditions scientifiques sont extrêmement coûteuses, il suffit de profiter de voiliers en activité et de les équiper de matériel d’analyse. Oceaneye collabore ainsi avec un laboratoire de l’EPFL pour les analyses des échantillons collectés par ses huit voiliers bénévoles. Selon Pascal Hagmann : « Il y a actuellement 8 milliards de tonnes de déchets plastiques en circulation dans le monde dont 2 milliards et demis sont recyclés et 5 milliards sont rejetés dans l’environnement. La moitié de ces déchets se trouvent dans les fonds et sont difficiles d’accès. Il n’y a donc pas d’intérêt économique à s’en occuper. » Il précise qu’en 1950, il y avait un million de tonnes d’objets en plastique et actuellement nous en sommes à 300 millions de tonnes, ce qui représente le poids total de l’humanité. Selon Pascal Hagmann, dans notre pays, la consommation de plastique par an et par habitant est de 140 kilos dont 70% sont liés à l’emballage contre 40% dans l’Union européenne. Il y a donc, selon lui, encore de nombreux progrès à faire en Suisse pour limiter le gaspillage. De nombreuses autres associations luttent activement contre ce problème global dont la Fondation Pacifique qui collabore avec Oceaneye. Créée en 2007, elle conçoit, organise et mène en mer à bord de son voilier Fleur de Passion, un vieux gréement de 33 mètres, des expéditions thématiques mêlant programmes de recherche scientifique, projets culturels, socio-éducatifs et de sensibilisation à l’environnement. Fleur de Passion est actuellement engagé dans un tour du monde sur les traces de Magellan et sert de plateforme logistique pour la prise d’échantillons d’eau de surface dans le cadre d’un partenariat avec l’association genevoise Oceaneye.

Mais que font les autorités face à cette pollution mondiale galopante ? À l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, l’ONU a lancé une campagne de sensibilisation « Beat plastic pollution » (combattre la pollution plastique). Quant à la France, le Ministère de la transition écologique et solidaire s’est fixé comme objectif « Zéro plastique rejeté en mer d’ici à 2025 ».

Voici un tour d’horizon de quelques projets innovants, actifs au niveau mondial.

Plastic Odyssey : le bateau qui carbure au plastique

Le projet Plastic Odyssey propose notamment de transformer les déchets de plastique marins non recyclables en carburant pour bateau. Inventé par deux jeunes ingénieurs et designers français, ce catamaran océanographique est encore à l’état de prototype, mais amorcera son tour du monde dès 2020. L’embarcation « éco-héroïque » prévoit de faire 33 escales en trois ans afin de collecter les déchets en mer et sur le long des côtes maritimes. Les plastiques recyclables seront transformés en matériaux réutilisables et les plastiques non recyclables convertis en carburant par pyrolyse, ce qui permettra ainsi d’alimenter les moteurs du navire.

Le Manta : le catamaran collecteur de déchets

Le Manta s’est donné pour mission d’avaler et de compresser jusqu’à 600 mètres cubes du plastique des océans par expédition. Conçu par le navigateur franco-suisse Yvan Bourgnon, cet imposant catamaran aussi large qu’un terrain de football est capable de compacter des tonnes de déchets à l’aide de tapis roulants plongeant jusqu’à un mètre sous l’eau. Le plus grand multicoque du monde devrait prendre la mer en 2022 avec une quarantaine de personnes à son bord. Le nom, Le Manta, est une référence à la raie du même nom qui est un poisson filtreur.

Ocean Cleanup : les barrières filtrantes géantes  pour s’attaquer au « septième continent »

Développé par un Néerlandais de 23 ans, Boyan Slat, le projet Ocean Cleanup prévoit de déployer une trentaine de barrières filtrantes longues d’environ 2 kilomètres pour récolter les déchets marins du continent de plastique et les recycler ensuite sur la terre ferme. Le concepteur du projet croit pouvoir nettoyer jusqu’à 50% de la grande plaque de déchets du Pacifique. Une première barrière devrait être mise à l’eau en septembre. Le Programme des Nations unies pour l’environnement a décerné un prix à Boyan Slat.

SoluBag : le sac plastique soluble et non toxique

Des ingénieurs chiliens ont créé la surprise en présentant en juillet un sac plastique soluble dans l’eau et non polluant. Ils ont eu l’idée de remplacer le pétrole par un dérivé de roche calcaire. Et selon SoluBag, ce sac qui se dissout en quelques minutes ne laissant que du carbone dans l’eau n’est dangereux ni pour l’homme ni pour l’environnement. SoluBag commercialisera ses sacs à partir d’octobre au Chili. L’entreprise a aussi présenté un sac en toile plus résistant et soluble dans l’eau chaude.

PlasticRoad : les routes en plastique venu des océans

Le projet PlasticRoad de la firme néerlandaise VolkerWessels veut remplacer l’asphalte utilisé pour les routes par une matière recyclée à partir de déchets de plastique provenant de l’océan. Selon les ingénieurs responsables du projet, ces routes en plastique seraient plus résistantes aux températures extrêmes, plus imperméables et auraient une durée de vie trois fois plus longue que les routes bitumées. PlasticRoad s’inspire de l’initiative du chimiste Rajagopalan Vasudevan, qui a mis au point le procédé dès 2012 en récupérant le plastique des décharges publiques. Près de 10 000 km de routes en plastique ont déjà été construites dans 11 villes indiennes.

Ecoalf : les vêtements 100% matériaux recyclés

La marque de vêtements et d’accessoires espagnole fait du recyclage de plastique son credo depuis près de dix ans. Leurs vêtements en polyester saturé sont fabriqués à partir de déchets repêchés au fond de la mer Méditerranée. La société madrilène, qui présente également des collections haut de gamme, a pour ambition de lancer une « nouvelle génération » de prêt-à-porter 100% plastique recyclé des eaux.

Conceptos Plasticos : les maisons plastique, solides et abordables

La société colombienne Conceptos Plasticos a développé une expertise dans la construction de bâtiments en plastique recyclé. En 2017, 750 habitations ont été construites à Bogotá permettant de recycler environ 100 tonnes de déchets par mois. En plus de l’aspect écologique, l’initiative permet de loger des personnes sans abri ou démunies à moindre coût. L’entreprise émergente mexicaine EcoDom lui a emboîté le pas en 2018. Cette dernière récupère le plastique compacté en panneaux et s’en sert comme armatures pour les cloisons des maisons. Pour moins de 300 $ et 2 tonnes de matières recyclées, les futurs propriétaires peuvent voir leur habitat érigé en une semaine.

Plastic Whale : les meubles en plastique recyclé des canaux d’Amsterdam

Cette entreprise néerlandaise est l’une des premières à avoir pratiqué le repêchage de déchets à l’aide de bateaux conçus en matières plastiques recyclées. Elle fabrique ensuite des meubles à partir de ce plastique repêché dans les canaux d’Amsterdam et propose par la même occasion aux touristes des excursions de collecte des déchets. Les « pêcheurs » de déchets ont ramassé jusqu’à présent 146 000 bouteilles de plastique, 2 914 sacs de déchets et l’équivalent de neuf bateaux remplis de déchets en plastique. Plastic Whale encourage l’écotourisme et l’économie circulaire.

 Ideonella sakaiensis : les bactéries et enzymes « mangeuses » de plastique

Une première bactérie mangeuse de polyéthylène téréphtalate (PET), qui se retrouve dans les bouteilles en plastique, a été découverte en 2016. En manipulant ces bactéries en avril der-nier, des chercheurs américains et britanniques ont conçu « par accident » une enzyme « encore plus efficace » pour dévorer le plastique. Les scientifiques veulent désormais améliorer les performances de cette enzyme afin de l’utiliser dans un processus industriel de destruction des plastiques. Une chenille dévoreuse de plastique, la Galleria mellonella, est aussi au banc d’essai dans les laboratoires.

Plastic Attack : le mouvement citoyen mondial contre le suremballage

En mars 2018, une vingtaine de clients ont pris d’assaut un supermarché au Royaume-Uni et ont retiré les emballages en plastique des produits en guise de protestation. L’événement a été partagé à la vitesse de l’éclair sur les réseaux sociaux et le mouvement Plastic Attack a alors vu le jour, donnant lieu à des actions coercitives et pacifiques dans une cinquantaine de villes du monde.

Madiba et nature : les embarcations faites de bouteilles de plastique usagées

L’organisme camerounais Madiba et nature, fondé par l’ingénieur Ismaël Essome, a entrepris de récupérer les bouteilles usagées flottant dans les océans et les rivières pour en faire des embarcations de fortune. Leurs bateaux peuvent notamment servir de pirogues, de canoës pour les touristes ou de barques pour les pêcheurs. L’organisme encourage ainsi l’écotourisme et offre un programme de formation aux jeunes étudiants et aux ingénieurs qui ont des préoccupations environnementales.

 

 

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