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Kénya, la liberté d’information à l’épreuve des élections

Le téléphone de milliers de Kényans sonne au même moment. Dans la conversation WhatsApp créée par les sympathisants du leader de l’opposition kényane Raila Odinga, un message intitulé « La vie des Luo compte ! » apparaît.

Le texte prétendument signé par le candidat à la présidentielle accuse le Gouvernement de conduire un génocide contre les membres de son ethnie. La campagne n’est pourtant basée sur aucun chiffre fiable. Ces messages sont le quotidien d’une grande partie de la population. Raila Odinga répète en permanence qu’il est une vraie source d’information contrairement aux médias qui sont à la solde du Président Uhuru Kenyatta. Ils ne sont, selon lui, capables que de propager des « fake news », de fausses informations créées par le Gouvernement pour cacher ce qu’il estime être la vérité : l’oppression du peuple pour asseoir son pouvoir.

Pourtant les médias kényans sont considérés comme « partiellement libres » par Freedom House, une ONG américaine, bien loin de leurs voisins somaliens ou éthiopiens. La population a plutôt confiance en eux, et certains en profitent. Alphonce Shiundu, l’éditeur kényan d’Africa Check, un site Internet de « fact-checking », explique que beaucoup de personnes sont tombées dans le piège lors des élections générales. Les créateurs de « fake-news » faisaient croire que leurs informations provenaient de la BBC ou de CNN, poussant même la chaîne états-unienne à publier des communiqués niant être à l’origine de ce qui s’avérait être des éléments de propagande.

88% des Kényans ont accès à Internet grâce à leur téléphone mobile alors que seulement 55% sont reliés à l’électricité.

Si les fausses informations ont toujours circulé au Kénya via les tracts ou les meetings, la campagne présidentielle de 2017 a vu un nouveau tournant : l’usage des réseaux sociaux. Dans le pays, le taux de pénétration d’Internet est énorme comparé au reste de l’Afrique : 88% des habitants y ont accès grâce à leur téléphone mobile alors que seulement 55% de la population sont reliés à l’électricité. Selon une étude de GéoPoll publiée à la mi-juillet, 9 Kényans sur 10 ( sur les 2000 personnes interrogées ) affirment avoir déjà lu, vu ou entendu des fausses informations concernant les élections. « La campagne présidentielle a montré un changement de comportement dans la manière de s’informer, explique George Ogola, professeur de journalisme à l’Université Central Lancashire. Les médias sociaux ont fait irruption, et ils ne sont pas gênés par les limites structurelles et politiques auxquelles sont souvent confrontés les principaux médias du pays. » C’est cette ouverture qui permet aux fausses nouvelles de circuler. D’autant plus que les autorités ont envoyé de mauvais signaux au cours des années passées.

Un contrôle accentué depuis le scrutin de 2017. La Fédération internationale des journalistes a rapporté des faits de harcèlements et d’intimidation par la police et les partisans des partis politiques : « Cela visait à intimider les journalistes et à les empêcher de couvrir la brutalité policière dans les bidonvilles ». Pire, le gouvernement a décidé le 30 janvier dernier la fermeture de quatre chaînes de télévision indépendantes pour empêcher la retransmission de la prestation de serment de Raila Odinga, qui s’est illégalement auto proclamé « Président du peuple kényan ». Malgré les décisions de justice en faveur des médias, les écrans TV sont restés noirs pendant 10 jours. Dans un pays où la liberté de la presse est inscrite dans la Constitution depuis 2010, cette dégradation pourrait être révélatrice d’un durcissement du régime à l’encontre des journalistes. Car le Président Kenyatta n’a pas que les yeux rivés sur les médias. Martin Mavenjina de la commission kényane pour les droits de l’Homme relève que : « pendant les élections générales du mois d’août, on a vu que le Gouvernement a tenté de contrôler Facebook ou WhatsApp pour empêcher que telle ou telle information ne circule ». La Commission de la cohésion nationale et de l’intégration, un organe étatique, a d’ailleurs proposé aux internautes un service de relecture avant publication pour être sûr que les posts n’enfreignent pas la loi.

Ceux qui seraient tentés de propager de fausses informations, d’être impolis ou de clamer un discours de haine risquent jusqu’à cinq ans de prison et une amende d’un million de shillings kényans ( 9 420 CHF, taux du 02 janvier 2018 ). Un blogueur a même été arrêté dans une ville de l’Ouest du pays en juillet. Il aurait publié sur sa page Facebook des incitations à la haine. La situation semble aller dans la même direction que l’Ouganda, l’Éthiopie ou le Rwanda voisin. Dans ces pays d’Afrique de l’Est, des États autoritaires contrôlent fortement l’information qu’elle soit publiée par des médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux. Quelle soit publiée par des médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux.

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