Isabelle Eberhardt, le rêve d’exotisme

Elle a donné son nom à une rue du quartier des Grottes à Genève, où elle est née, ainsi qu’à une crèche dans la Cité de Calvin. Isabelle Eberhardt a mené sa brève existence de la façon la moins conventionnelle que l’on puisse imaginer. Fascinée par le Maghreb, elle a laissé une œuvre littéraire puissante.

C’est un peu par hasard qu’Isabelle Eberhardt naît à Genève. Sa mère, mariée à un vieux général, a une santé fragile et le climat suisse semble, selon ses médecins, plus favorable à sa santé que celui de Saint-Pétersbourg. Après un séjour à Montreux, cette mère de six enfants et belle-mère de trois autres issus d’un mariage antérieur de son époux, s’installe à Genève et donne naissance à un septième enfant, Isabelle, dont le père est sans doute Alexandre Trofinovski, précepteur et régisseur de la famille, un ancien prêtre devenu anarchiste et en qui le général a toute confiance.

Isabelle Wilhelmine Marie Eberhardt s’avère surdouée et parle quasi couramment le russe, le français, l’italien et l’allemand. Elle commence aussi à pratiquer l’arabe et le turc. Très vite, avec son frère Augustin, elle nourrit le rêve de voyager au Maghreb, plus particulièrement en Algérie.

À 18 ans, elle publie une première nouvelle dans une revue sous un pseudonyme masculin et fréquente le milieu anarchiste turc et russe, déjà fortement représenté à Genève (où Lénine séjournera quelques années plus tard). La jeune femme mène une vie très libre, facilitée par son physique de garçon, ses cheveux très courts et son habitude de s’habiller en homme.

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(DR)
Isabelle Eberhardt

Découverte de l’Algérie

En 1897, Isabelle et sa mère déménagent en Algérie française, à Bône, future Annaba, et fraternisent très vite avec la population locale, rompant peu à peu les contacts avec les Européens du pays et suscitant la méfiance des autorités. Isabelle se convertit à l’islam, ne se vêt plus qu’en habits masculins et adhère à une branche du soufisme. Sous le nom de Si Mahmoud, elle sillonne le Sahara à cheval et publie de nombreux textes jugés subversifs par le pouvoir français. Ses articles et ses livres constituent un témoignage précieux et enflammé de la réalité coloniale. Après la mort de sa mère, elle vit plusieurs mois en nomade et malgré sa conversion mahométane boit, fume et accumule les relations intimes. Son engagement pour l’égalité des droits entre Algériens et colons, joint à son style de vie, la fait expulser du pays en 1901, peu après qu’elle eut échappé à une tentative d’assassinat perpétrée par une confrérie soufie concurrente de celle dont elle fait partie.

C’est mal connaître Isabelle Eberhardt que de croire qu’on puisse la priver de « son » Algérie. Expulsée comme Suissesse, elle revient aussitôt après avoir épousé un sous-officier musulman de nationalité française, Slimane Ehnni. C’est le début pour elle d’une carrière de reporter de plusieurs années pour le journal Akhbar, qui défend les mêmes idéaux qu’elle et s’attire régulièrement les foudres des autorités coloniales. Sa mère et son frère, si proches, sont décédés ; elle prend des risques en couvrant des événements violents dans l’ouest algérien, où elle rencontre le général Lyautey qui sera fasciné par l’indépendance et la personnalité de cette femme « aussi libre qu’un oiseau ».

Fin tragique

Le paludisme, dont la médecine française n’a pu débarrasser le pays, frappe la jeune femme qui, à l’automne 1904, passe un mois à l’hôpital d’Aïn Sefra, une localité d’Algérie occidentale dont le nom signifie « la source jaune ». Précisément, un oued traverse le bas de la ville. Le destin a voulu qu’Isabelle Eberhardt quitte l’hôpital, situé sur les hauteurs, pour résider près du cours d’eau, qui connaît une gigantesque crue le lendemain de son installation. L’exploratrice meurt noyée dans sa maison, qui s’est effondrée sur elle. C’est Lyautey, dont le quartier général se trouve à Aïn Sefra, qui lancera des recherches pour trouver son corps et ses manuscrits. Ce grand militaire expliquera qu’Isabelle Eberhardt et Charles de Foucauld étaient les personnalités les plus marquantes qu’il ait rencontrées. Voilà qui rend justice à cette femme hors du commun, qui a souvent été accusée d’espionnage ou d’immoralité, vivant à la manière d’un Bédouin, dormant à la belle étoile et cherchant dans son travestissement masculin à échapper tant à son statut de femme qu’à celui d’Occidentale.

Elle avait coutume de parapher ses textes du dessin d’un œil. Le moins que l’on puisse dire est que son regard passionné sur cette Algérie tourmentée restera unique et précieux.

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