Interview Jean Staune
– Les expériences de « Smart Cities » paraissent prendre davantage de temps que prévu pour aboutir : s’y prendrait-on mal ?
Jean Staune – Il faut s’entendre sur la définition d’une Smart City. Si l’on évoque les avancées technologiques permettant d’améliorer la vie en ville en réduisant les atteintes à l’environnement et en améliorant l’utilisation de l’énergie, il y a de nombreuses réalisations prometteuses ou projets extraordinaires, que j’ai eu l’occasion de présenter dans mes conférences, comme le plus grand toit vert du monde, le béton autoréparateur, les feuilles artificielles transformant les façades en véritables arbres ou le projet de couverture d’une section du Périphérique parisien permettant de planter mille arbres au-dessus de la circulation. Tout cela s’inscrit dans une démarche où les révolutions technologiques permettent des innovations au service d’un monde plus viable.
– Parmi les obstacles à franchir pour que les villes deviennent des Smart Cities , le manque d’argent n’est pas le moindre. Les défis démographiques actuels risquent de faire passer cette évolution au second plan…
– Les cités entièrement nouvelles et connectées, telles que la Chine, par exemple, tente d’en édifier, ne prennent pas leur essor. En outre, la disponibilité d’espaces adéquats à accueillir des villes n’est pas démontrée ; en fait, personne ne peut citer un vrai exemple de cité parfaitement « smart ». Si l’on se place du point de vue d’un Persan de Montesquieu, ou d’un extraterrestre qui nous observerait, ce qui frappe est l’incroyable gaspillage représenté par les déplacements entre domicile et travail, à l’ère des portables, d’Internet, de Skype, etc. Il n’y a pas de coordination suffisante entre habitat, lieux d’activité et transports. La plupart des gens perdent une ou deux heures par jour en moyenne pour se rendre au bureau ou à l’usine, ce qui apparaîtra comme préhistorique à nos descendants. Il faut cesser d’« aller au travail » ! La plupart des tâches tertiaires peuvent se faire chez soi ou quasiment n’importe où, avec un point de rencontre régulier, par exemple toutes les semaines. Un jour ou l’autre, des hologrammes permettront, encore mieux que les écrans, des réunions virtuelles quasiment parfaites. Je reste cependant persuadé que le contact humain ne disparaîtra pas, il est indispensable, mais peut être concentré sur une période régulière donnée. Malgré Internet, les centres de congrès n’ont jamais si bien marché : mais pourquoi se réunir tous les jours avec ses collègues ? Des millions d’heures de déplacement pourraient être économisées.
– Les premières expériences de télétravail, de domotique, de voitures autonomes, etc. ont été tentées il y a des années, mais sans grand succès. Internet a-t-il tout changé?
– À l’évidence, mais attention : il ne faut pas avoir raison trop tôt. Vouloir s’engager trop vite comporte un risque financier et un risque d’échec. La technologie évolue très rapidement, son coût et son efficacité évoluent en sens inverse et se lancer avant le bon moment est aussi dangereux que franchir le pas trop tard.