Interview de Sylvie Berti-Rossi
Il faut y mettre tout son cœur.
Quels sont les défis qui se posent lorsque l’on veut dynamiser une institution culturelle et accroître son rayonnement ?
Notre premier défi a été de créer de toutes pièces ce festival littéraire, en 2010, sous forme d’association. Nous étions cinq : à mes côtés, outre mon mari Frédéric Rossi (éditeur), il y avait Sylviane Friederich (libraire à Morges), Vera Michalski (éditrice, présidente du groupe Libella), et Pascal Vandenberghe (directeur de Payot Librairie). Il a ensuite fallu, en un temps relative-ment compté, trouver des financements. Dès le début, nous avons reçu un enthousiaste soutien du Canton de Vaud, à travers la conseillère d’Etat Anne-Catherine Lyon, et de la ville de Morges, dont la syndique Nuria Gorrite est entre-temps aussi devenue conseillère d’Etat. Depuis, nous tentons – heureusement avec succès – de développer cette manifestation.
Revitaliser une institution culturelle nécessite-t-il des moyens financiers importants, et quel rôle les pouvoirs publics doivent-ils jouer dans ce contexte ?
Il faut évidemment des moyens financiers. Mais ce qui est obligatoire, indispensable, surtout s’il s’agit de créer un nouvel événement culturel, ce sont l’engagement et le bénévolat de quelques personnes solides, n’ayant pas peur de « prendre sur elles » du travail, des désillusions parfois, mais qui vivent vraiment l’aventure d’un tel salon. Le travail de recherche de sponsoring, de partenariats, d’auteurs et d’éditeurs est imposant et croît en même temps que la manifestation. Quelque 35 % de notre budget vient des institutions publiques : Etat de Vaud, villes de Morges, Lausanne et Genève. Des partenaires privés comme la Loterie Romande et diverses fondations et entreprises assurent le solde.
Le public du XXIe siècle est-il différent de celui d’il y a deux ou trois décennies ?
Les pratiques sociales et la société tout entière ont changé. Notre salon répondait à une forte demande de proximité entre auteurs et public, à une fête du livre tournée vers l’échange et la découverte. La réponse a été immédiate et massive, pour notre grand bonheur. L’aspect relationnel a nourri le succès ; l’an passé, les ventes de livres ont explosé et cette année, elles ont encore progressé de 20 %. Tout cela montre qu’un événement peut valoriser le livre et l’édition, générer une relation encore plus riche avec le public.
Doit-on forcément simplifier et vulgariser le message culturel pour qu’il soit reçu ?
Je n’ai pas du tout ce sentiment, en tout cas dans notre domaine. Sur les 150 rencontres et débats tenus à Morges, personne ne me semble avoir fait d’effort pour rendre son propos digeste. Certains auteurs sont évidemment meilleurs orateurs que d’autres, mais la littérature raconte des expériences et des émotions humaines. Chacun s’y retrouve, cela n’a rien de complexe ni d’inaccessible. En outre, des débats comme celui sur le thème « chacun sa Suisse » entre Jean Ziegler, Suzette Sandoz et Oskar Freysinger ont plu à tout le monde. L’important est de toucher, d’intéresser le public.
Quelles sont vos motivations? Quels conseils donneriez-vous à celui ou celle qui souhaiterait s’inspirer de votre parcours ?
Notre motivation à tous, au sein du comité, est de redonner une place au livre, une dimension, un lieu où l’auteur et son ouvrage soient au centre de l’intérêt. Notre salon encourage la lecture. Pas moins de 4 000 élèves ont participé à notre journée des écoles du vendredi. Les enfants ont pu rencontrer des auteurs, découvrir l’écriture et la lecture sous un autre angle, dynamique et séduisant. Ils sont revenus ensuite avec leurs parents. C’est un élan, on découvre de nouvelles plumes, de nouveaux sujets. Mon conseil : ne ménagez pas votre peine, mettez-y du cœur. Pas de demi-mesure si votre initiative culturelle doit vivre et grandir ! Votre moteur intérieur doit tourner à plein régime jusqu’au bout. Le « noyau dur » – le comité et l’équipe opérationnelle – doit aussi être solide et réunir des compétences complémentaires, clef du succès.
Pensez-vous que l’offre culturelle soit suffisante en Suisse ?
Il y a beaucoup de choses, dans de nombreux domaines. Certains secteurs de la culture sont bien servis, telle la musique sous toutes ses formes. D’autres font figure de parents pauvres. La littérature et l’édition ont peu de festivals et de salons ; nous avons occupé une partie de ce « créneau », sous une forme originale dans notre pays !
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