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Interview de Matthias Finger

Matthias Finger est professeur ordinaire en management des industries de réseaux à l’EPFL. Ses travaux se concentrent sur les questions de régulation et de gouvernance des industries ainsi que sur le rôle que les technologies de l’information et de la communication (TIC) jouent dans cette gouvernance. Matthias Finger est un pionnier et a écrit de nombreuses études sur les Smart Cities. Rencontre.

– Pouvez-vous définir ce concept dont tout le monde parle en ce moment, les Smart Cities ?

Matthias Finger – J’ai une doctorante qui fait une revue de littérature de toutes les occurrences du concept dans les millions d’articles parus à travers la planète. Ce concept est très discuté dans les milieux universitaires mais il est d’abord un slogan mis en avant par les vendeurs de technologies. La première utilisation du concept remonte au département de l’Énergie américain qui voulait une utilisation plus efficiente de l’énergie grâce à une application systématique des TIC. Dans les faits, on en est toujours là : Smart Cities, c’est la volonté de travailler sur les gains d’efficience grâce aux TIC dans les transports, l’eau, les grandes infrastructures dans le contexte d’un développement plus durable. C’est en fin de compte consommer moins pour obtenir plus. « Smart » ne veut rien dire en soi. Le concept est utilisé à toutes les sauces et signifie simplement une référence à des TIC dans à peu près toutes les activités imaginables : de l’éclairage des rues à l’irrigation des arbres dans une ville. On peut effectivement espérer d’importants gains d’efficience grâce à cette application systématique des TIC, mais cela n’est pas vraiment révolutionnaire et ne changera pas le cours de la civilisation industrielle. La référence au concept de « City » est par contre plus intéressante : elle signifie en fait que l’État-nation n’est plus l’unité pertinente aujourd’hui pour analyser et résoudre les multiples problèmes qui se posent à nous. La ville, ou plutôt l’agglomération devient une unité beaucoup plus pertinente, même si, du point de vue de la gouvernance, une métropole reste problématique.

– En Suisse, sommes-nous en avance dans ce domaine ?

– Une conférence nationale a été organisée à Bâle en avril 2017, « SmartSuisse – Smart Up Your City ». Il y avait beaucoup de stands et de discussions et j’ai été positivement surpris de voir toutes ces activités. Toutefois, il manque une intégration globale et surtout une planification. Par quoi va-t-on commencer ? Quelles sont les étapes nécessaires, les conditions, quel budget ? Les grandes villes comme Genève ont un plan pour devenir des Smart Cities. Mais comment le plan sera-t-il implémenté ? Et comment agir au niveau de l’agglomération qui inclut une partie du canton de Vaud et de la France voisine ? Ce n’est pas clair pour l’instant.

De manière générale, on peut dire qu’au coeur d’une Smart City, il y a toujours un service industriel, du moins dans les cas où les projets avancent. En effet, ce sont les services industriels qui ont la meilleure visibilité et la plus grande conscience des synergies possibles. En Suisse, nous sommes plutôt à la traîne. La Confédération a réagi en 2016 avec une stratégie appelée « Suisse numérique ». Mais il s’agit plutôt d’une énumération de nombreuses activités sans grande cohérence, et l’idée de Smart City ne s’y trouve même pas. L’industrie a, elle, réagi avec son projet « Digital Switzerland », mais qui est essentiellement orienté vers la création de start-up pour ne pas louper le coche de l’économie numérique. Beaucoup de villes développent des stratégies de Smart City mais il faudra voir dans quelques années si elles produisent des résultats. Une des initiatives les plus prometteuses me paraît se développer à Bâle : « Smart Regio Basel ». Elle est intéressante, parce qu’elle vient de l’industrie locale en collaboration avec les services industriels et la politique et parce qu’elle vise la région transfrontalière, non pas la ville seulement.

– Quelles villes sont à la pointe ?

– Chaque ville a sa propre approche qui s’inscrit dans sa propre trajectoire. Beaucoup de villes font des choses tout à fait intéressantes, notamment dans les transports dits intelligents. À ce titre, l’exemple de l’agglomération de Helsinki est particulièrement prometteur. Même si on peut utilement s’inspirer de tous ces exemples, ils sont toujours difficilement copiables (malgré les promesses des vendeurs de technologies), car les institutions locales, notamment politiques, restent la clé de la réussite. Singapour est également toujours cité comme modèle mais il n’est pas réplicable chez nous car c’est un État-ville et on ne demande pas aux citoyens de participer, on leur impose le modèle. Bref, le concept de Smart City a un grand potentiel mais, sans l’implication des citoyens et sans engagement des autorités publiques, il n’est pas efficace.

– À IGLUS, vous êtes des pionniers au niveau des formations dans le domaine des Smart Cities ?

– Nous avons deux formations en ligne (MOOC – Massive Open Online Course) qui visent avant tout les managers des infrastructures urbaines, une sur le management des infrastructures urbaines (12 000 participants) et une sur les Smart Cities (8000 participants). Les deux sont des préliminaires obligatoires pour pouvoir suivre notre Executive Master IGLUS (Innovative Governance of Large Urban Systems) qui se déroule sur une période de deux ans dans différentes villes du monde (Mexico, Kuala Lumpur, Séoul, New York, Detroit, Istanbul, Kampala, Dortmund et Lyon). www.iglus.org

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Innovation Urbanisme