Interview de Martin T. Engstroem
La qualité et la présentation font le succès.
Quels sont les défis qui se posent lorsque l’on veut dynamiser une institution culturelle et accroître son rayonnement ?
Il faut d’abord imaginer un produit unique, spécifique, susceptible d’intéresser les gens, et qui puisse être présenté de manière aussi fraîche et moderne que possible. Avec un festival de musique classique, la difficulté est double, puisque les œuvres sont anciennes, bien connues et le nombre d’artistes relativement limité. Je dirais qu’à partir d’un certain niveau de qualité, c’est la présentation qui fera la différence.
Revitaliser une institution culturelle nécessite-t-il des moyens financiers importants, et quel rôle les pouvoirs publics doivent-ils jouer dans ce contexte ?
C’est une question piège ! En Suisse, contrairement aux pays voisins, ce n’est pas l’Etat qui lance ou soutient d’emblée les projets culturels. Personne ne va tout de suite pleurer misère devant le Gouvernement ! Il faut des initiateurs privés, qui obtiennent (ou pas) l’appui de la commune et du canton. Mais tout dépend de celui ou de ceux qui incarnent le projet, de leurs contacts, de l’énergie et de la capacité de conviction qu’ils y mettront. Il faudra séduire les sponsors privés et les responsables communaux et cantonaux. Ce « modèle suisse » m’a un peu énervé au début, mais j’ai compris et maintenant je l’ai bien intégré !
Le public du XXIe siècle est-il différent de celui d’il y a deux ou trois décennies ?
Il est beaucoup plus gâté aujourd’hui ! Il dispose de davantage de choix, d’une offre très riche et de moyens technologiques et médiatiques très puissants : Internet, le numérique, etc. Un organisateur ne peut espérer remplir sa salle avec de simples noms sur des affiches. Il a une tâche beaucoup plus lourde que dans le passé : il doit rechercher la nature du public visé, son origine géographique, et comment le faire venir.
Doit-on forcément simplifier et vulgariser le message culturel pour qu’il soit reçu ?
Je ne le crois pas. On ne doit pas vulgariser l’art, ni les artistes. Mais si l’on souhaite un public plus jeune et nouveau, il faut essayer d’aller à sa rencontre, de l’intéresser. On peut par exemple jouer dans des écoles et faire ensuite venir les jeunes au festival. Ce n’est pas une question de prix : des concerts classiques gratuits n’attirent pas beaucoup plus de monde. En outre, nous devons d’abord travailler autour de nous, à Verbier, en Valais, car notre festival est lié à cette magnifique région.
Quelles sont vos motivations ? Quels conseils donneriez-vous à celui ou celle qui souhaiterait s’inspirer de votre parcours ?
Il ne faut pas réfléchir trop à tous les ennuis et toutes les difficultés qui pourraient arriver, mais avoir une passion et la suivre. Dans notre cas, un festival loin des grands centres semblait une idée folle, mais j’étais personnellement convaincu qu’allier le superbe paysage de Verbier et des Alpes à la musique classique ne pouvait qu’attirer un public heureux d’assister au mariage entre art musical et nature. Il convient aussi de se renouveler, d’innover, raison pour laquelle nous avons par exemple imaginé l’Académie d’été. Mais une chose est sûre : il faut résister aux moments de solitude et ne jamais se décourager. Il faut une certaine force pour convaincre et avancer.
Pensez-vous que l’offre culturelle soit suffisante en Suisse ?
L’offre culturelle n’est jamais suffisante par nature. Je pense qu’un festival crée un public et que si c’est intelligemment conçu et bien présenté, le succès sera au rendez-vous. Entendez bien que je ne serais pas favorable à la création d’un festival de musique classique au Châble, à côté de Verbier, aux mêmes dates que le nôtre ! Mais si un artiste vous plaît et se produit dans deux lieux différents à quelques semaines de distance, vous n’irez pas le voir les deux fois ? Moi si !
Patrimoine