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Interview de Marco Pfister

En matière d’énergies renouvelables, la Suisse est à la traîne. Il faut absolument réintroduire les objectifs quantitatifs dans la Stratégie énergétique fédérale 2050 !

Marco Pfister, Expert climat et énergie chez Greenpeace Suisse

Plusieurs rapports récents pointent du doigt la Suisse, très en retard par rapport à ses voisins en matière d’énergies renouvelables. Où est-ce que le bât blesse ?

Si la politique énergétique suisse est régulièrement évaluée par de nombreuses agences indépendantes comme étant l’une des meilleures des pays industrialisés du monde, les statistiques suisses et européennes montrent qu’en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, nous sommes à la traîne par rapport à nos voisins français, italiens, allemands ou autrichiens. Prenons un exemple : en 2012, l’Allemagne a produit 906 kilowattheures (kWh) d’énergie solaire et éolienne par habitant. En Suisse, pour la même période, nous arrivons à 59 kWh, soit 15 fois moins. C’est d’autant plus paradoxal que nous sommes à la pointe de la recherche au niveau mondial.

La part des nouvelles énergies renouvelables, soit l’éolien, le solaire et la bio-masse, n’excède pas 3,6% en Suisse. Comment expliquer qu’elle soit si faible ?

Cet immobilisme est lié à la politique suisse et au mécanisme de promotion des énergies renouvelables. Lancée en 2008, la rétribution du courant à prix coûtant, ou RPC, est le principal instrument de la Confédération permettant de les encourager. Alimenté par le paiement d’un supplément pour chaque kWh produit en Suisse, ce fonds a malheureusement été insuffisamment doté depuis son lancement, ce qui a conduit des milliers de projets à s’accumuler sur une longue liste d’attente. L’autre problème est que la production d’énergie solaire a longtemps été contingentée. Les plafonds viennent heureusement d’être relevés pour les petites et moyennes centrales, ce qui devrait permettre de débloquer rapidement une partie des 29 800 projets solaires faisant l’objet d’une demande de financement.

Suite à l’accident nucléaire de Fukushima, la Suisse s’est engagée à ne pas remplacer ses cinq centrales atomiques. Annoncée en 2011, cette décision devrait doper la production d’énergie renouvelable, non ?

Sur le papier, c’est réjouissant, mais concrètement, rien n’a encore été fait. Mis à part l’engagement de ne pas remplacer les cinq centrales atomiques suisses, le Conseil fédéral n’a pas établi de feuille de route pour sortir du nucléaire. Or, plusieurs incidents récents, que Greenpeace a dénoncés systématiquement, prouvent que ces installations sont dangereuses et vétustes. Les centrales de Mühleberg et de Beznau devraient être mises hors service immédiatement. Plus la Suisse attend, et plus elle perd ses chances de se profiler sur le marché extrêmement porteur des Cleantechs.

Actuellement, 55% du courant suisse est produit par la force hydraulique. D’ici à 2035, le rapport Energy (R)evolution, de Greenpeace, estime qu’il est possible d’augmenter la part du renouvelable à 100%. N’est-ce pas trop optimiste ?

Au contraire, cela est tout à fait faisable. Mais il faut davantage mettre l’accent sur le solaire, l’énergie la plus populaire en Suisse. Cette énergie pourrait à elle seule couvrir au moins 25% de nos besoins en courant électrique. Les mesures d’efficacité énergétique ont également un très gros potentiel, leur premier et principal avantage étant qu’elles peuvent être appliquées immédiatement. Si des objectifs quantitatifs allant dans ce sens ont dans un premier temps été fixés et intégrés à la Stratégie énergétique fédérale 2050, ils en ont été biffés par la Commission préparatoire du Conseil national. Il faut absolument les y réintégrer, car sans but précis fixé, on n’arrivera nulle part.

Des projets éoliens font l’objet de recours et d’oppositions, faut-il en déduire que les Suisses n’ont pas la même conscience écologique que leurs voisins européens ?

Le système des recours est une particularité du droit suisse qui permet souvent d’améliorer les projets et d’augmenter leur pérennité. Chez nos voisins, celui-ci n’est pas aussi étendu. Mais la véritable explication à ces oppositions est à chercher dans la manière dont les projets de développement sont conduits. On n’inclut pas assez la communauté dans la planification locale, avec pour résultat que celle-ci y voit davantage de nuisances que de bénéfices. Partout où l’on adopte un schéma de fonctionnement plus participatif, l’adhésion aux projets est nettement plus élevée. Acceptée en mai de cette année, la votation neuchâteloise sur l’éolien, qui était une première au niveau helvétique, l’a bien montré, puisqu’elle a été acceptée par une majorité de la population. Les Suisses sont prêts à s’engager pour les énergies renouvelables, mais pas n’importe comment !

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