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Interview de Marc-Olivier Wahler

La culture peut véritablement avoir un impact sur la structure économique d’une ville.

Marc-Olivier Wahler, Ancien Directeur du Centre d’Art de Neuchâtel

– Vous avez voyagé et travaillé dans le monde entier. De quelle manière la Suisse est-elle perçue dans le monde de l’art ?

– La renommée de la Suisse en matière d’art dépasse largement ses frontières. Il faut savoir qu’il existe une tradition vieille de plus d’un siècle de montrer de l’art dans les Kunsthalle, des structures qui, à la différence des musées, n’ont pas de collections et dont la mission première est de présenter des artistes de la scène émergente. Aujourd’hui, la Suisse peut s’enorgueillir d’avoir un nombre élevé d’artistes connus au niveau international. C’est une particularité que lui ont envié de nombreux pays, à commencer par la France. L’originalité, le ton souvent décalé et la bonne facture des pièces sont également des marques de fabrique des œuvres d’art suisses.

– L’art contemporain, c’est aussi un business, qu’incarnent les foires d’art. Que dire d’Art Basel, qui rencontre un grand succès depuis sa création par Ernst Beyeler, en 1970 ?

– Art Basel est LE grand rendez-vous artistique de l’année, devant Londres, Paris, New York et Miami. Près de 300 des meilleures galeries d’Europe, des Etats-Unis, d’Asie et d’Australie y sont présentes chaque année. Certaines œuvres exposées sont parfois vendues à des prix spectaculaires. Mais si le marché est la partie la plus visible de l’art contemporain, ce n’est pas toujours la plus intéressante. La recherche me passionne davantage, car elle rassemble les artistes les plus pointus, exigeants et créatifs. Pour moi, l’art est avant tout un outil, une hygiène de l’esprit, qui permet de porter un regard plus acéré sur les choses en les débarrassant des filtres qu’on veut bien nous imposer.

– Existe-t-il de grandes différences entre la Romandie et la Suisse alémanique ?

– En Suisse alémanique, les premières Kunsthalle ont été fondées au XIXe siècle. Il faut attendre 1974 pour assister à la création du Centre d’art contemporain de Genève, qui en est l’équivalent romand. Son voisin, le Musée d’art moderne et contemporain (MAMCO) fête ses 20 ans. Bien qu’elles soient jeunes, ces structures sont devenues partie intégrante du paysage artistique suisse et européen. Les choses bougent énormément en Suisse romande. Neuchâtel et Fribourg disposent depuis deux décennies de centres d’art de qualité, les associations d’artistes sont très actives, les écoles d’art comme la HEAD à Genève et l’ECAL à Lausanne ont pris une importance internationale. Le projet de futur quartier des Musées à Lausanne est extraordinaire et très prometteur. Tout concourt à l’établissement en Suisse romande d’un pôle international de création, de dynamisme et de médiation sans précédent. En outre, il y a actuellement un nombre d’artistes émergents exceptionnel de ce côté-ci du pays. Il reste encore à attirer plus de grands collectionneurs, qui pour l’instant sont plus présents et plus actifs du côté alémanique.

– Vous travaillez en ce moment sur le développement de nouveaux formats d’exposition. Ne pensez-vous pas que les grands musées suisses sont un peu frileux sur ce plan ?

– Le problème des musées, comme de toute grande compagnie d’ailleurs, c’est d’être atteint d’inertie. Dans certaines start-up, la créativité est constamment encouragée. Chez Google par exemple, les employés ont du temps libre pour développer des projets sans penser à leur rentabilité. Les bons musées devraient ouvrir des laboratoires pour y tester des choses folles, développer de nouveaux formats d’exposition, travailler avec des jeunes artistes émergents ou encore casser les catégories entre genres artistiques. Il en va de leur futur. Car le public, aujourd’hui, a d’autres attentes. Il faut repenser le rôle des musées.

– Faut-il davantage soutenir la création artistique ?

– Investir dans l’art en vaut la peine. Ce qui ne veut pas forcément dire faire du mécénat, même si c’est essentiel de soutenir des artistes comme le font de nombreuses fondations ou des privés. Il existe aujourd’hui de nombreux instruments pour permettre aux musées de soulever des fonds. On a compris que si les musées ne pourront jamais couvrir leurs frais par leurs activités, l’art est rentable et profite à l’économie dans son ensemble, devenant dans de nombreuses villes un véritable moteur. L’exemple type est à Bilbao, où se pressent chaque année des milliers de visiteurs pour voir le Musée Guggenheim. Ou à Miami, une ville qui a été transformée de fond en comble par l’arrivée de la Foire de Bâle. La culture peut véritablement avoir un impact sur la structure économique d’une ville. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que des grands groupes ou des investisseurs privés injectent d’importantes sommes d’argent dans l’art ou dans les institutions culturelles. Dans ce domaine, il y a encore de belles opportunités à saisir pour la Suisse.

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