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Interview de Hans Björg Püttgen

On préfère revenir au charbon ultra-polluant plutôt que d’admettre que les promesses d’abandon rapide du nucléaire étaient démagogiques.

Hans Björg Püttgen, Professeur émérite et ancien chef de l’Energy Center de l’EPFL

Quelles sont les principales menaces environnementales en Suisse ?

Du point de vue de l’énergie électrique, la Suisse fonctionne actuellement avec une production de CO2 quasiment négligeable. Seulement, l’abandon progressif du nucléaire, tel qu’annoncé par les autorités, ne nous permettra pas d’éviter le recours à des centrales à gaz sur le sol suisse, ce qui signifie que nous allons accroître notre « empreinte carbone ». L’autre option, toujours dans le contexte de la sortie à moyen terme du nucléaire, serait d’acheter de l’électricité produite grâce au charbon aux Allemands, grâce au gaz aux Autrichiens ou grâce au nucléaire aux Français ; bien entendu, le caractère quelque peu hypocrite de cette attitude ne vous échappera pas.

Renoncer au nucléaire à terme, est-ce une idée viable ou une utopie ?

Tout dépend du terme ! Le facteur temps est essentiel. Si l’on me dit que nous mettrons la centrale de Leibstadt à l’arrêt en 2035 et que nous n’aurons ni à produire de l’électricité via une centrale à gaz, ni à en importer qui soit issue du nucléaire, du gaz ou du charbon, je réponds que c’est simplement impossible. Renoncer à allumer sa télévision le soir – à condition que les gens en soient capables – ne suffira pas. A mon avis, à la fin de ce siècle, nous serons surtout sortis du fossile, car le CO2 et le réchauffement climatique forment la plus grande menace qui soit. La priorité doit donc être mise sur les pompes à chaleur, sur les véhicules à propulsion non fossile (électricité, pile à combustible) et sur l’amélioration de la production. Mais l’éolien, sur sol suisse, ne remplacera jamais une centrale comme Beznau ou Gösgen. A moins de changer complètement de mode de vie – ce qui n’est ni anodin ni facile –, la réalité est celle-ci.

La crise économique compromet-elle les politiques environnementales et la voie choisie par la Suisse vous paraît-elle opportune et réfléchie ?

Je constate pour commencer que le prix actuel de l’électricité est particulièrement bas, même si le grand public ne s’en rend pas toujours compte. Cela n’est que temporaire et on le doit à un développement massif du photovoltaïque et de l’éolien. On a en quelque sorte surinstallé des équipements partout où cela était facile et fait des économies qu’on ne pourra pas renouveler : par exemple remplacer les vieilles ampoules à filament. Lorsque l’Allemagne va arrêter le nucléaire, ce qui est annoncé pour 2022, la situation va changer. La facture des entreprises va prendre l’ascenseur : une hausse de 35% probablement. Je dis donc que la décision prise par Berne le 25 mai 2011 n’était pas fondée économique-ment, ni techniquement réfléchie. Abandonner le nucléaire d’ici à 2020 ou 2025 est utopique. D’ici à 2050, je serais prêt à le croire. Mais imaginer en 2011 notre réalité de 2050, c’est penser qu’en 1972, sous Pompidou en France et alors que Richard Nixon présidait les Etats-Unis, on aurait pu prendre des mesures précises sur l’énergie pour l’année 2011…

Le message de l’économie d’énergie et de la protection de l’environnement est-il bien accepté et bien compris par la population ?

Oui, mais je le répète, le plus facile est fait. Vous et moi avons pris des décisions importantes, diminué ou mieux géré notre consommation électrique. On roule à vélo, ce qui économise du CO2 (quoique, à Lausanne, il faille un camion-remorque pour rapporter tous les soirs les vélos « libres » d’Ouchy au sommet de la ville). Mais on n’a pas eu le courage politique d’expliquer à la population les implications réelles des choix à faire, et on cède systématiquement lorsque cinq pêcheurs, comme cela s’est produit récemment, font un recours contre trois îlots solaires supposés alimenter une station d’épuration et qui gênaient leur vue lorsqu’ils prenaient leur barque : on opte aussitôt pour le mazout.

Etes-vous optimiste pour le futur énergétique de notre pays ?

Je suis d’un incurable optimisme. La Suisse est un pays riche, doté d’une énorme compétence scientifique. En poussant, par exemple, à fond le solaire thermique et les pompes à chaleur, nous pourrions diminuer notre consommation de gaz et de pétrole. Les barrages pourraient aussi être mieux utilisés. Mais, surtout, il faudrait avoir le courage de ne pas mentir à la population et de débattre vraiment de ce type de sujets. En Allemagne, on tait soigneusement que des mines de charbon à ciel ouvert sont en train de rouvrir. Par dogmatisme, on préfère revenir au charbon ultra-polluant plutôt que d’admettre que les promesses d’abandon rapide du nucléaire étaient démagogiques. C’est catastrophique.

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Environnement