Interview de François Bellanger
– Qu’évoque pour vous, spécialiste en prospective urbaine, le terme de « Smart Cities » : un concept prometteur, un slogan à la mode, ou un peu des deux ?
François Bellanger – Un peu des deux ! C’est un peu comme si l’on avait parlé, voilà une ou deux décennies, de « villes électriques »… Certes, il est intéressant de mettre en valeur ce qui conduit tout un chacun à repenser la ville, mais avec la notion un peu abstraite de « Smart Cities », on a l’impression que l’on cherche à relancer un élan perdu, une fois retombé l’enthousiasme généré par le cycle HQE (haute qualité énergétique). Cela rappelle le désarroi qui avait suivi l’échec du sommet de Copenhague : il fallait retrouver un leitmotiv mobilisateur, et les puces électroniques semblent le permettre. Nos villes sont branchées, connectées, hourrah ! Voilà un siècle que nous n’avions pas eu de bouleversement technologique ; les mots qui visent à le traduire ont une durée de vie de quatre ou cinq ans : « ville 2.0 », « écocités », et maintenant « Smart Cities ». En revanche, la popularité du terme de « Smart Cities » a l’avantage de faire évoluer la façon de penser l’avenir.
– Mais il faut bien que l’on planifie cet avenir ! Il y a des mesures à prendre, des infrastructures à installer pour faciliter cette évolution…
– Peut-être, mais à mon avis, une ville est « smart » par l’existence des technologies et par l’usage que les gens en font. La planification, en la matière, risque fort d’être démentie : voyez la ville de Songdo en Corée du Sud : pour être la plus branchée, elle a installé des câbles de communication partout… et deux ans après tout passait par le wi-fi ! D’autres exemples comme Masdar, aux Émirats, dont les ambitions ont été revues à la baisse, montrent qu’on a beau vouloir relier les gens entre eux, le vrai réseau sera fait par les citoyens et la manière dont ils vont utiliser leur portable : la ville intelligente et connectée se bâtit d’abord par la pratique sociale. Bien sûr, il faut un minimum de technologie, mais songez qu’à Tokyo, tout le monde fait depuis des années des choses incroyables avec son téléphone portable, dont on rêve encore ici. Ce sont les gens qui sont « smart », pas vraiment les « cities » ! Bref, pas trop d’infrastructures lourdes et rigides, sinon vous risquez de voir ces investissements connaître le sort de la domotique d’il y a trente ans. En somme, lorsque vous posez la première pierre du building le plus connecté du monde, il vaudrait déjà mieux y renoncer !
Ce sont les gens qui sont « smart », pas vraiment les ‹cities › !