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Interview de Douglas Hornung

Parce que les pays ont besoin de se renflouer, la force prime et les traités sont bafoués. On retourne au Far West : les plus forts imposent leur loi.

Douglas Hornung, Avocat

Les banques qui géraient des comptes d’Américains ont livré des milliers de données au Département de la justice américain (DoJ) pour solder cette affaire. C’est justifié ?

Les banques insistent sur trois points : d’abord qu’il est important pour elles de pourvoir collaborer avec le DoJ pour échapper à une possible plainte, car seule une collaboration complète leur permettrait d’obtenir un accord de non-poursuite (NPA). Deuxième argument : elles sont autorisées par le Conseil fédéral à transmettre les données. Et finalement elles affirment agir dans l’intérêt général de la place financière et donc de la Suisse. Mais il n’en reste pas moins que la transmission de ces données est parfaitement illicite et que, lorsqu’ils sont saisis par un (ex-)employé, tous les tribunaux sollicités (Vaud, Zurich, Genève) ont décidé d’interdire la transmission – à titre provisionnel et sur la base de la vraisemblance – soulignant au surplus que de telles transmissions pourraient causer un dommage important et irréparable à l’(ex-)employé. Le Tribunal fédéral a par ailleurs clairement rappelé lors de l’affaire UBS que, pour pouvoir transmettre des donnés à une autorité étrangère, il faut obligatoirement passer par une entraide administrative ou judiciaire, sauf si le gouvernement utilise son plein pouvoir d’agir en urgence. La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a dit à plusieurs reprises que le Conseil fédéral n’a pas utilisé et n’utilisera pas ce pouvoir de police. Je travaille sur la démonstration finale que ces transmissions sont parfaitement illégales.

Les banques ont très probablement protégé des fraudeurs fiscaux américains, au détriment des contribuables honnêtes. Pourquoi faut-il protéger les données de ce business en Suisse ?

Il faut comprendre qu’à l’époque il y avait un autre contexte en Suisse. Dans son rapport de 2011, la Finma soulignait encore que « l’acceptation et la gestion d’avoirs non déclarés de clients étrangers sont autorisées et non punissables en Suisse ». Par contre, les Etats-Unis considèrent que leur droit doit être appliqué en dehors de leur pays. Ils refusent cependant de passer par les voies de l’entraide internationale usuelle et se servent de leur force et puissance pour imposer l’application de leur droit en Suisse. Depuis le traité de Westphalie de 1648, il est pourtant convenu que les pays souverains – petits ou grands – sont égaux entre eux. Ces principes-là sont pratiquement abandonnés : parce que c’est la crise, parce que les pays ont besoin de se renflouer, la force prime et les traités sont bafoués. On retourne au Far West : les plus forts imposent leur loi.

Par principe, les données d’un crime ne sont pas protégées. Dans quelle situation un complice à la fraude fiscale pourrait-il être dénoncé par son employeur ?

Il faut distinguer trois aspects : la protection du crime, la complicité de fraude fiscale et la relation employé-employeur. Pour poursuivre un crime fiscal international, il y a les
traités. Une entraide administrative pour fraude fiscale entre la Suisse et les Etats-Unis est possible depuis 1995. Par contre, elle n’est pas donnée pour le cas de la simple
soustraction fiscale. D’ailleurs les deux pays eux-mêmes ont jugé que les traités actuels ne sont pas suffisants pour poursuivre ce type de délit. C’est pourquoi ils sont convenus
en 2009 d’un Protocole additionnel, qui inclurait la poursuite de la soustraction fiscale par l’entraide administrative. Mais les Américains bloquent la ratification de ce Protocole
additionnel pour des raisons de politique interne. Par conséquent, en l’absence de ratification du Protocole, la distinction entre fraude et soustraction reste en vigueur et l’entraide administrative pour la simple soustraction n’est pas possible. Pour la question des relations employés-employeurs, les Etats-Unis exigent de recevoir des banques tous les noms de tous les « coupables », même des simples employés qui n’avaient aucune marge de manœuvre ou d’appréciation. Le vice-ministre américain de la Justice l’a déclaré très clairement et publiquement. Les employés sont extrêmement déçus et fâchés. Ils se sentent trahis par leurs employeurs, qui les dénoncent comme coupables à une autorité pénale étrangère alors qu’ils n’ont jamais fait que leur travail en parfait respect du droit suisse. Le gouvernement suisse a essayé de les protéger mais a finalement capitulé devant les exigences américaines et, plutôt que de protéger ses propres concitoyens, il décide au contraire d’autoriser les banques à communiquer les noms de leurs employés. Du jamais vu depuis le régime de Vichy.

Le droit à la protection des données personnelles est récent. De quand date-t-il ? Est-ce qu’il se développe ou est-il en érosion ?

Les règles du secret bancaire étaient déjà une forme voulue de la protection de la personnalité. Cette protection a été étendue aux données personnelles en général en 1992, par une nouvelle loi et, sur le plan des relations de travail, en 1993, par un nouvel article dans le code des obligations (art. 328b). L’employeur n’a pas le droit de traiter des données d’employés sans une bonne raison et sans l’accord de l’employé. Ces nouvelles protections faisaient suite au fameux « scandale des fiches » fin des années 1980. Avec l’internet, la protection devient de moins en moins concrète et de plus en plus difficile à faire respecter, ce que je regrette. La jeune génération a de la peine à comprendre l’intérêt de la protection de la sphère privée, qui a été mise en place. Je crains que cette protection ne devienne de plus en plus symbolique.

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