Interview de Boylan Slat

La petite ville de Delft aux Pays-Bas, située entre La Haye et Rotterdam, est connue pour sa grande Université de technologie. Un site très étendu, où se retrouvent des étudiants du monde entier. Justement, c’est au sein de l’un de ses bâtiments que la Fondation The Ocean CleanUp (Le Nettoyage de l’Océan) a élu domicile. Une ambiance agréable règne dans les bureaux, et l’équipe de Boylan Slat, le fondateur, semble enchaîner les réunions décisives. Rencontre avec le sauveur des richesses aquatiques de la planète.

L’ambition de votre fondation est de nettoyer l’océan Pacifique d’une grosse partie de ses déchets plastiques, comment avez-vous développé cette idée ?

Je me suis demandé comment combiner ma passion pour l’ingénierie, la technologie, avec une solution pour résoudre ces gros problèmes environnementaux. Mon véritable intérêt a démarré quand j’avais 16 ans. Ces amas de plastique en compétition avec les poissons que j’ai vus sous mon masque lors d’une plongée sous-marine en Grèce m’ont choqué. Je ne voulais alors répondre qu’à une seule question : comment pourrions-nous nettoyer l’océan de ces éléments polluants ? Après l’intérêt suscité par mon mémoire universitaire, nous avons pu mettre en place la première phase du projet et réussi à récolter 90 000 euros en un mois.

Qu’avez-vous pu prouver grâce à cette étude de faisabilité ?

Nous avons prouvé qu’en dix ans, notre méthode pouvait permettre le nettoyage d’environ la moitié de la grande zone de déchets de l’océan Pacifique. L’investissement est 33 fois moins important et 7 900 fois plus rapide que tout ce qui a pu être fait dans le passé, le plus souvent des chalutiers munis de filets pêchant le plastique de manière inefficace, et détruisant la vie maritime. Le plastique n’est pas statique, ce qui rend cette tâche très compliquée. Je me suis dit : pourquoi parcourir l’océan quand l’océan peut venir à nous ? Après la phase pilote, nous espérons démarrer d’ici trois ou quatre ans la véritable mise en place du projet et l’installation de ce système de 100 km dans l’océan Pacifique.

Comment ont réagi les experts quand vous leur avez exposé votre projet initial ?

Je n’arrivais pas à penser à autre chose. Fin 2012, j’ai d’abord fait une vidéo de présentation, qui est restée très discrète. Au printemps 2013, mon concept a soudainement pris de l’ampleur et a été partagé des millions de fois sur internet. Cet engouement m’a permis de monter rapidement une équipe composée aujourd’hui de 100 personnes et de récolter les fonds pour avancer. J’ai donc décidé de faire une pause à la fois dans mes études, mais aussi dans ma vie sociale, pour dédier tout mon temps à ce projet. Du côté des experts, j’ai eu de nombreux accueils positifs mais aussi quelques vives critiques. La meilleure des réponses était le succès de notre étude de faisabilité. Mais je comprends aussi ces réactions car dans le passé, des dizaines de personnes ont affirmé pouvoir nettoyer les océans en sous-estimant l’ampleur de leur surface.

 

Expliquez-nous comment on peut attirer le plastique pour ensuite l’extraire de l’océan Pacifique ?

Au lieu d’utiliser des filets, nous utilisons des barrières solides. Imaginez deux longues barrières flottantes de 50 km chacune, un peu comme deux longs bras, en forme de V. Grâce aux gyres, ces tourbillons d’eau formés par de forts courants marins, les plastiques vont se diriger vers ces barrières et les heurter. Les courants marins circulant en dessous vont permettre de laisser passer la faune maritime. Seul restera le plastique flottant. Grâce à l’angle formé, il est ramené à l’intérieur, où il existe une telle concentration de plastique que l’on peut difficilement voir l’eau. C’est ici que sont localisées les plateformes qui seront ensuite extraites de l’eau, stockées dans un réservoir, vidé toutes les six semaines. Nous avons aussi prouvé que ce plastique pouvait être recyclé.

Ce système pourrait-il être adapté à d’autres fonds sous-marins, d’autres courants ?

Tout notre travail est concentré sur cette partie de l’océan Pacifique et ses déchets, mais en théorie, chaque étendue d’eau avec ce genre de courants marins pourrait permettre le déploiement de ce système. Nous avons choisi ce gyre du Pacifique Nord, entre Hawaï et la Californie, parce que c’est ici que la concentration est la plus importante du monde. Cette partie de l’Océan Pacifique est 10 fois plus polluée que la deuxième zone la plus polluée du monde qui se situe dans l’Atlantique, entre le Triangle des Bermudes et le Portugal. Donc oui, si nous pouvons récolter plus de fonds, nous pourrions aussi nous occuper des autres océans.

Combien coûte ce système ?

Ce seul système, élaboré pour une surface maritime de 100 km, coûte 30 millions par an sur dix ans. Et c’est moins cher que de laisser ce plastique dans l’océan. Selon les Nations unies, les déchets plastiques provoquent des dommages dans l’océan évalués tous les ans à plusieurs milliards de dollars.

Réveiller les consciences pour éviter ou réduire la présence de ces plastiques dans l’eau fait-il aussi partie de votre développement ?

Boylan Slat : Oui, il est important de noter qu’il existe deux types de solutions complé-mentaires. D’un côté, nous devons bien sûr nettoyer ce qui est déjà dans l’océan, mais attirer l’attention des gens pour que les plastiques ne finissent pas dans l’eau reste notre grand espoir.
Que pourrait-on vous souhaiter à l’aube de vos 20 ans ?

Boylan Slat : (sourire rêveur…) Exactement cela, nous travaillons dur pour supprimer la pollution déjà présente. Mais si les gens pouvaient nous aider, en s’assurant de leur côté que de nouveaux déchets n’étaient pas créés, cela nous permettrait vraiment de résoudre les deux sources de ce problème environnemental.

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