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Interview de Rainer Stadler

Les offres alternatives n’avancent guère jusqu’aux groupes éloignés de la politique.

Rainer Stadler, Rédacteur de la « NZZ » et spécialiste des médias du journalisme d’actualité

– En Suisse, sept ou huit maisons de médias diffuseront à l’avenir les événements nationaux et – en cas d’acceptation de l’initiative « No Billag » – peut-être y aura-t-il une de moins. Cette situation offre-t-elle suffisamment de diversité médiatique au lectorat régional ?

Rainer Stadler – Au niveau national et à l’intérieur des régions linguistiques, il existe manifestement une concurrence considérable. D’un point de vue purement quantitatif, sept ou huit maisons de médias sont suffisantes pour couvrir le marché. Dans ce constat, les différentes régions linguistiques ne sont, par contre, pas prises en compte – elles ne sont guère en situation de concurrence entre elles. En Suisse romande, la diversité est moins grande ; toutefois, je ne saurais avancer une évaluation plus détaillée en la matière. Une certaine concentration des médias présente assurément des avantages. Dans le cadre de leur propre groupe, les médias auraient ainsi la possibilité d’équilibrer leur offre et leur rendement et, pour ces raisons, d’approcher des groupes ciblés, plus petits. Quant à savoir s’ils le feront, c’est une autre question. Par la réorganisation des grands groupes de médias, un nivellement est en train de s’opérer, peut-être pas de façon complète, on le découvrira.

– Partagez-vous l’allégation généralisée déplorant une perte de diversité, respectivement la genèse d’un « magma uniformisé », tel qu’il est perçu suite à la concentration de la rédaction centrale de Tamedia ?

– Au niveau régional et local – en dehors de Zurich – pour le lecteur le manque d’alternatives face aux principaux médias pose problème. Quand les pressions concurrentielles entre les journalistes, respectivement les rédactions, sont mis hors-jeu, faute d’antagonistes, l’offre du monopolisateur respectif finit par s’affaiblir et, par conséquent, le consommateur sera moins bien servi.

– Quelle est la valeur des médias alternatifs (portails d’information, Facebook, blogs, presse spécialisée, etc.) pour le lecteur politiquement intéressé ou le lecteur apolitique, aujourd’hui ?

– Les offres alternatives ont leur importance, elles peuvent avoir la fonction de briseuses de monopole. Leur portée est souvent limitée, tout comme l’éventail de leur offre, mais, par leurs avis opposés, elles peuvent susciter une discussion, du moins dans les rédactions. Je ne saurais pas évaluer leur impact dans les différentes régions. Les offres alternatives atteignent surtout des lecteurs politiquement orientés, elles n’avancent guère jusqu’aux groupes éloignés politiquement. Néanmoins, il vaut mieux avoir des voix opposées petites et faibles, que de n’avoir point de voix d’opposition du tout.

– Est-ce que la diversité est plus grande aujourd’hui qu’autrefois, selon les affirmations des éditeurs ?

– Au niveau de la forme, elle est bien plus vaste. Qui cherche – vu globalement – trouve gratuitement d’innombrables perles. L’évaluation de la situation dépend toutefois du cadre de comparaison. Néanmoins, la diversité des thèmes politiques au niveau régional/local est en danger. En plus, nous avons en Suisse une diversité toujours surfaite aujourd’hui, dans le sens que l’offre actuelle est supérieure à la possibilité de la financer à long terme par des moyens mobilisables de l’économie de marché. C’est seulement quand les courses éliminatoires actuelles se seront essoufflées que, l’étendue des problèmes se révélera.

– Les éditeurs disent que la diversité diminue, mais que la qualité augmente et que l’investissement tend vers un journalisme nouveau et digital. À votre avis ?

– Du point de vue de la compétence de transmission, la qualité s’est améliorée. Néanmoins, je doute que l’éventail de l’offre journalistique se soit élargi, en partie aussi en raison de la compétence affaiblie des rédactions dans les dossiers. Des prestations brillantes en matière de recherches restent l’exception, mais représentent une bonne affaire pour l’auto-commercialisation de la politique médiatique des éditeurs. Il y a en Suisse de nombreux journalistes très capables et sérieux, voués à une éthique professionnelle élevée. En raison des conditions structurelles et de la ré-idéologisation poussée par la hiérarchie des rédactions, ces compétences ne sont pas encore mises en valeur de manière optimale.

– Lors de profits en baisse, il est avancé que la qualité peut être assurée seulement par des fusions, respectivement des concentrations. Êtes-vous d’accord ?

– D’un point de vue de gestion industrielle, ce principe est juste.

– Il semble que seule une maison de médias financièrement solide puisse sauvegarder son indépendance face à la politique, à l’économie et aux agences de presse. Êtes-vous d’accord avec cette argumentation ?

– Une maison de médias est indépendante quand elle est économiquement rentable et qu’elle est financièrement portée principalement par les abonnés. Quant aux risques d’influence, grâce aux abonnés ils sont moindres.

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Société